22 août > Roman France > Nina Bouraoui

La fin - le telos, comme diraient les Grecs - d’un gland, c’est d’être chêne. Celle d’une chenille, c’est de devenir papillon. L’enfant une fois devenu adulte, quelle est sa fin? L’humain est le seul être qui ne sache pas ce pour quoi il est au monde, ou plutôt, qui veuille le savoir. Ainsi l’énonce Aristote: "tous les hommes désirent naturellement savoir." Ce constat donne son titre au nouveau livre de Nina Bouraoui.

Née en 1967 à Rennes d’une mère française et d’un père algérien, celle qui fit une entrée fracassante en littérature dès son premier roman avec La voyeuse interdite (Gallimard, 1991, prix du Livre Inter) n’a au fond jamais cessé d’écrire sur son identité, quadruple: française, algérienne, fille, garçon. Aussi sur une jeunesse qui ne veut pas passer: enfance à Alger (Garçon manqué, Stock, 2000), adolescence à Zurich - le lycée - à Saint-Malo -, les vacances chez les grands-parents (La vie heureuse, Stock, 2002)… La mer et le soleil, l’envol et le vertige, l’irrémissible attrait pour les filles. On n’était dans ces pages-là pas tant dans le pourquoi que le comment, le tout défilant sur fond de tubes des années 1980: Daho, Jeanne Mas, Michael Jackson, New Order… Ça pulsait au rythme d’un cœur étourdi par la passion. Tomber amoureux, c’est avant tout tomber, cette chute elle la racontait encore dans son roman le plus "roman", Standard (Flammarion, 2014), l’histoire d’un électronicien sans histoire qui replonge dans son obsession lycéenne.

Ici c’est: pourquoi? Nina Bouraoui veut comprendre: "Je cherche dans mon passé des preuves de mon homosexualité, des reliquats, mon enfance est ainsi, orientée de cette façon, à la manière d’un astre ou du versant d’une montagne." Elle revient sur le début de son installation à Paris, les premières boîtes de filles, le Kat et son cruel théâtre de la séduction, ses protagonistes: Ely la cynique, Julia la première flamme… Le récit s’entremêle de souvenirs d’Algérie, qui bientôt bascule dans une décennie de sang et de plomb. Il y a cet épisode choquant, où sa mère rentre à la maison, échevelée, corsage arraché. Aimer les femmes, est-ce échapper au regard carnassier des mâles?

Tous les hommes désirent naturellement savoir, c’est la découverte du sexe et la peur du sida, et surtout cette honte d’être ce qu’on est, d’aimer qui on aime: "Je souffre de ma propre homophobie." La souffrance d’être différente de celles auxquelles on est censée ressembler: "Au bar, assise, j’attends, c’est triste, j’accepte cette tristesse car dans ce lieu qui ne me plaît pas, je cherche quelque chose. Les mêmes chansons passent et repassent, rien ne varie de soir en soir, cela m’évoque la mort. Je regarde les femmes danser entre elles, seule ma solitude me choque." L’écart engendre l’écriture. Sean J. Rose

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