Rentrée littéraire 2021

Raphaël Haroche, « Une éclipse » (Gallimard) : Tranches de vies

Raphaël Haroche - Photo DR

Raphaël Haroche, « Une éclipse » (Gallimard) : Tranches de vies

Raphaël Haroche confirme la singularité de son univers et le talent dont il avait fait preuve dans son premier recueil. Tirage à 12000 exemplaires.

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Par Jean-Claude Perrier,
Créé le 20.09.2021 à 13h30

Contrairement à bon nombre d'autres écrivains, qui considèrent la nouvelle (souvent une novella) comme un roman en miniature, avec un début et une fin articulés, Raphaël Haroche est un vrai nouvelliste. Chez lui, tout est allusion, sous-entendu, non-dit, mystère, voire limite du fantastique. Et le lecteur éprouve l'impression de pénétrer dans ses textes par effraction, en fraude, comme on monte dans un train en marche, dans le wagon du milieu. C'était déjà vrai de son premier recueil, Retourner à la mer (Gallimard, 2017, prix Goncourt de la nouvelle et gros succès en librairie), c'est encore plus flagrant pour celui-ci.

Une éclipse est composé de douze nouvelles, onze en fait, la dernière étant atypique par rapport aux autres. Certaines sont écrites à la première personne, d'autres à la troisième, l'une d'entre elles se présente comme la lettre d'une femme souffrante, hospitalisée, qui raconte ce qui lui est arrivé durant une semaine. « (Coda) Compte-rendu d'un entretien à l'hôpital de jour », qui clôt le livre, se veut la retranscription d'une conversation entre Raphaël et plusieurs interlocuteurs, autistes. Cela rappelle ce que réalise l'équipe du journal Le Papotin, et peut-être était-ce dans ce cadre. Peu importe. On y retrouve la liberté absolue des intervenants, qui posent des questions saugrenues, intimes, amenant l'invité, bousculé, contesté voire agressé, à livrer quelques confidences. À un moment, il est même question d'« Une éclipse » , la première nouvelle du recueil à qui elle donne son titre, et son ton.

C'est l'histoire d'un homme et de sa femme, Alice (un prénom récurrent dans le livre). Ils se trouvent sur une des îles anglo-normandes, avec leurs enfants, Elias et Jo. Lui est un scénariste en panne d'inspiration (autre thème récurrent). Elle mène une belle carrière internationale. Jaloux à l'extrême, il sait qu'elle l'a trompé deux fois. Elle le lui a avoué. Et il soupçonne qu'en ce moment même elle a une autre liaison, que, peut-être, elle va le quitter. Osera-t-il fouiller dans son téléphone portable afin de s'en assurer ?

L'art de l'absurde

On retiendra aussi « Les patriciens », ces deux vieux homos qui vivent claquemurés dans leur maison comme dans un « tombeau égyptien ». Ils recueillent Sorraya, une jeune fille blessée. Ses frères, en horde, hurlant comme des loups, n'hésiteront pas à donner l'assaut pour la récupérer. Ou « Les règles du tennis », évocation onirique d'un sport que Raphaël pratique - ou sur lequel il s'est sérieusement documenté : « le tennis est un monde parfait où tous les accidents possibles du cosmos ont été prévus », parfois jusqu'à l'absurde. Il y a encore, dans « Terrain à bâtir », ce vieil architecte allemand qui a travaillé pour les nazis, réfugié en Amérique du Sud, qui sera finalement châtié...

C'est à la fois varié et homogène, angoissant, sombre. Le nonsense n'est jamais loin. Auteur-compositeur-interprète majeur de la chanson française, Raphaël Haroche y confirme son talent d'écrivain. À quand un roman ?

Raphaël Haroche
Une éclipse
Gallimard
Tirage: 12 000 ex.
Prix: 18 € ; 192 p.
ISBN: 9782072939525

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