21 SEPTEMBRE - RÉCIT France

François Bizot- Photo BRUNO GARCIN-GASSER/FLAMMARION

En avril 2009, François Bizot est invité à déposer devant les CETC (chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens), en tant que témoin au procès de Kaing Guek Eav, ancien Khmer rouge plus "célèbre" sous son surnom de Douch (1). Les deux hommes se connaissent de longue date. L'un a été le prisonnier de l'autre durant trois mois, d'octobre à décembre 1971, dans le camp d'extermination M.13, au fin fond de la jungle cambodgienne. Douch, ensuite, a dirigé le S.21, centre de torture installé dans un ancien lycée à Tuol Sleng, devenu aujourd'hui un musée de l'horreur que tous les petits Cambodgiens sont invités à visiter. En quatre ans, de 1975 à 1979, les Khmers rouges ont massacré tant de leurs compatriotes (environ 2 millions, sur une population alors estimée à moins de 10 millions) qu'il n'est pas une famille qui n'ait été concernée.

Son calvaire de prisonnier, l'archéologue de l'Efeo (Ecole française d'Extrême-Orient) passionné de culture khmère, arrêté par des Rouges persuadés qu'il était un espion de la CIA puis libéré par son bourreau lui-même, l'a raconté bien longtemps après, en 2000, dans Le portail (La Table ronde, repris en Folio, 2002), témoignage exceptionnel et grand succès de librairie. Après, il a tenté d'oublier. Mais l'histoire l'a rattrapé : en 1988, de retour pour la première fois au Cambodge, Bizot identifie Douch sur une photo. En 1999, l'ancien tortionnaire est arrêté à la frontière thaïe. En 2003, Bizot lui rend visite dans sa prison de Phnom Penh. Leurs "retrouvailles" donneront lieu à un documentaire, Derrière le portail. Enfin, en 2006, les CETC sont créées pour juger les crimes des Khmers rouges, dont certains vivent et attendent encore, comme Khieu Sampan, ancien président du Kampuchéa démocratique. Douch, lui, n'était pas un leader, mais un cadre, un fonctionnaire qui faisait son "travail" consciencieusement, persuadé de la justesse de l'idéologie qu'il défendait, le communisme "à la chinoise".

François Bizot rouvre donc une fois encore ce Portail qu'il croyait avoir refermé, revenant sur une histoire qui l'a marqué à vie. Etre ainsi confronté à la barbarie a représenté pour lui bien plus qu'une expérience traumatisante, cela l'a amené à méditer et a encouragé sa propension au pessimisme : et si le Mal résidait en chaque homme ordinaire ? Si un Douch sommeillait en chacun d'entre nous ? Le tout est de ne pas le réveiller...

Le bourreau, devenu chrétien, a plaidé coupable et s'est excusé, en particulier auprès de François Bizot, qui reproduit en annexe du Silence du bourreau le mémoire que Douch lui a adressé en 2008, après avoir lu Le portail. "Que Dieu pardonne à son enfant, dans sa miséricorde", écrit-il. Les hommes, eux, l'ont condamné à trente ans de prison. Après avoir coopéré, Douch s'est muré dans le silence et a fait appel de la décision des CETC. Qui devraient se prononcer sur cet appel d'ici à quelques semaines. L'ancien geôlier, de toute façon, finira sa vie en prison. Bizot, lui, s'interroge toujours, y compris sur la nature de la relation, "fraternelle", qui s'est nouée entre eux.

(1) Voir aussi p. 84 le portrait de Thierry Cruvellier qui publie le 22 septembre une biographie du tortionnaire cambodgien, Le maître des aveux (Gallimard).

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