15 février > Essai Etats-Unis > David Rieff

"Devoir de mémoire", l’expression est presque tautologique, tant on nous assène depuis les bancs de l’école jusque sur les ondes, en toutes lettres dans les éditoriaux qu’il faut se souvenir. L’homme est en effet un obligé de ceux qui se sont sacrifiés pour lui. Il lui faut aussi se rappeler ceux qui ont été les victimes de la barbarie et autres actes de terreur. "Plus jamais ça !" est le mot d’ordre sous-jacent, et l’antienne des grandes messes où communient comme un seul homme les citoyens, jeunes et vieux, fidèles de la religion du vivre-ensemble.

Car l’humain même se définit-il par cette dette infinie ? Une nation, n’importe quelle communauté, n’existe que parce qu’elle se rappelle. D’où l’importance du choix des événements à commémorer. On l’a vu récemment en France avec la polémique autour de Charles Maurras.

L’inclassable écrivain David Rieff, entre analyste politique et grand reporter, signe Eloge de l’oubli aux éditions Premier Parallèle. Il s’agit d’une réflexion empreinte de philosophies contemporaines (Yerushalmi, Ricœur, Margalit, Todorov) sur cette part d’amnésie nécessaire pour avancer et faire la paix."Je ne préconise aucun Alzheimer moral, souligne-t-il. Bien évidemment, être entièrement privé de mémoire, c’est être dépourvu de monde. Et je n’écris pas plus ces pages contre ceux qui se montrent décidés à mémorialiser leurs morts […]. D’un autre côté, le danger en l’occurrence ne saurait se résumer en un excès d’oubli. Il réside aussi dans un excès de mémoire." Les nations sont des constructions dont la conscience de soi est parfois récente et les frontières pas gravées dans le marbre, le grand Renan le notait déjà : "Elles ont commencé et elles finiront." Du Moyen-Orient aux Balkans, en Afrique, en Asie, aux quatre coins du monde, au sein d’une même société (le ressentiment confédéré dans ces pourtant jeunes Etats-Unis)… Le vrai piège est d’entretenir la flamme du souvenir non pas avec les larmes de la réconciliation mais avec l’huile recuite de la haine ancestrale. S. J. R.

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