Le dynamique collectif « Sauver les lettres » a récemment investi l'actualité médiatique en publiant une enquête sur l'évolution du niveau des élèves en dictée . Coïncidence ou prudence, le ministère a publié dans la foulée une enquête portant en partie sur le même sujet . Les résultats ne sont pas bons et attestent d'un net affaiblissement des compétences en orthographe des élèves de classe de seconde et de CM2. Comparée à celles qui l'ont précédée, la nouvelle génération rencontre plus de difficultés avec l'orthographe et la grammaire. Bien sûr, on peut déplorer cette évolution et s'interroger sur ses conséquences dans la capacité des jeunes à comprendre et penser le monde. Mais comment analyser cette situation ? N'est-ce là que l'effet de réformes « délétères » qui se succèdent depuis plus de 30 ans ? Le rétablissement des horaires d'enseignement de « français » serait-il la solution ? Le rapport d'une population à sa langue n'échappe pas aux évolutions sociales. La manière de parler et d'écrire n'est pas figée dans le marbre une fois pour toute. Notre belle langue pourrait bien être victime d'une évolution qui concerne le rapport entre les générations. Si la grammaire et les grands textes du patrimoine littéraire forment certainement des outils intéressants de compréhension du monde, ils appartiennent aussi à un patrimoine, à un passé qui veut s'imposer par la force de l'institution. Et le collectif « Sauver les lettres » confirme bien cette idée à travers sa revendication pour que « le Ministère rétablisse de vrais programmes de grammaire de phrase ». Quelles sont les conditions pour que les jeunes générations se soumettent à ce passé ? Il faut qu'elles en soient relativement familières par le cadre familial dans lequel elles ont grandi. L'enquête du ministère pointe d'ailleurs que « l’augmentation du nombre d’erreurs est moins marquée pour les enfants d’origine sociale favorisée ». Ce passé est aussi plus intéressant pour ceux qui y puiseront les conditions de leur statut social à venir. La maîtrise de la langue facilite toujours l'obtention de concours et de postes à responsabilité. Les jeunes générations qui n’ont pas été intéressées (ou contraintes de l’être) par leurs parents à la grammaire et l’orthographe perçoivent celles-ci à partir de la fonction qu’elles remplissent à savoir l'une des modalités du tri scolaire et plus largement de la fabrication de leur destinée sociale. Nous ne sommes plus dans la période faste de croissance des classes moyennes et supérieures quand les « héritiers » n’étaient pas assez nombreux pour satisfaire le marché de l’emploi et laissaient de la place aux « bons élèves » des classes populaires. Les « héritiers » et leurs parents voient leur avenir plus difficilement et alors on comprend que les élèves de milieu populaire peinent à croire à la vertu de la correction grammaticale. Pour apprendre, il faut sans doute croire et cela devient difficile. La tentation est grande de tirer la langue… Et si la baisse du niveau de l’orthographe constituait l'une des manifestations de la désillusion et du ressentiment des classes populaires à l’égard de l’Ecole ? N’est-ce pas la traduction d’un approfondissement des inégalités sociales ? Le retour à l’enseignement traditionnel de la grammaire peut-il faire face à cette évolution ? Mais le renoncement à la correction orthographique ne concerne pas seulement les enfants des classes populaires. Les jeunes appartiennent à une commune génération dans laquelle la communication orale prend le dessus y compris dans la sphère personnelle. Les jeunes amoureux s’envoient-ils toujours des lettres d’amour ? De la télé-réalité, aux SMS, aux blogs, à MSN ou à la messagerie électronique, ces modes et moments d’échanges se font souvent sur une base orale (écrire en phonétique). Il ne s’agit pas de louer cette nouvelle langue mais d’en prendre acte et surtout de la considérer comme une modalité pour mettre à distance les adultes (profs, parents, etc.). Ils nous tirent la langue et nous voulons sauver les lettres ainsi va le jeu conflictuel de la succession des générations.
15.10 2013

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