Récit/France 26 février Isabelle de Courtivron

« Vieillir est la plus solitaire des navigations » constatait en experte Benoîte Groult dans La touche étoile, citée par Isabelle de Courtivron. Or si l'auteure de ce récit a l'habitude de naviguer en solitaire, elle n'avait pas anticipé la difficulté de cette traversée-là. C'est ce qu'elle avoue, avec une remarquable franchise, une lucidité où l'humour tempère souvent l'amertume, dans ce récit sans cache-misère.

Un jour - elle a 73 ans -, c'est le corps d'abord qui sonne l'alerte. Elle constate avec surprise et effarement qu'elle a moins de souplesse pour exécuter les postures de yoga, que la cataracte dont elle est désormais affligée nécessite une opération. Et puis il y a la mémoire plus oublieuse, les nièces qui s'éloignent, le fossé générationnel qu'elle observe quand, engagée dans la campagne d'Emmanuel Macron, elle côtoie les jeunes militant(e) S. Les signes d'un déphasage qui s'accumulent, le désir qui s'étiole, les amitiés qui changent de forme... Voilà ça y est : elle est vieille. Et ça ne la fait pas rire. Elle est entrée dans la nuit, comme le décrivait en 1973 dans L'été avant la nuit (The summer before the dark) Doris Lessing, l'une de ses héroïnes modèles, de ses précieuses lectures de soutien. Elle, la femme libre, sans enfant, la voyageuse sans attachement, l'intellectuelle biculturelle, titulaire d'un doctorat de littérature française, la prof d'université, la « féministe historique » comme elle se désigne, immergée à 20 ans dans la contre-culture des années 1960-1970 sur un campus de côte Est des Etats-Unis, elle qui a érigé l'autonomie en règle de vie numéro 1, se découvre désemparée face à ce nouvel état. Incapable de cette sagesse censée accompagner, sinon compenser l'avancée de l'âge. Subitement « fragile », « usée », « invisible », vulnérable aux émotions, loin de l'image de femme indépendante et résistante qu'elle a toujours eue d'elle.

Luttant contre une dépression, « sombre compagne » toujours en embuscade, elle devient perméable aux regrets, assaillie de peurs inédites, happée par une nostalgie d'autant plus incompréhensible qu'elle a toujours tenu à distance « tout ce qui est sentimental ». Avec déception - « Depuis quelques années, je n'ai pas le courage de m'accepter telle que je suis devenue » -, elle constate que sa carapace de protection s'est fissurée, remettant à nu des blessures anciennes. Qu'elle n'a pas le « chic suprême de savoir décliner » qu'appelle de ses vœux sa chère Colette.

Pourtant, en dépit de la sévérité avec laquelle juge sa faiblesse nouvelle, de la sagesse, il y en a beaucoup dans ce récit. Sagesse de lutter contre le ressassement, de ne pas idéaliser les souvenirs, de savoir se réjouir que d'autres, plus jeunes, prolongent ses combats de jeunesse. « Depuis l'été où je suis devenue vieille, je dois accepter de ne plus être dans la position de la militante engagée, mais dans celle de l'observatrice solidaire. » Une place où puiser l'énergie de continuer à avancer dans l'obscurité.

Isabelle de Courtivron
L'été où je suis devenue vieille
L’Iconoclaste
Tirage: 5 500 EX.
Prix: 17 euros ; 200 p.
ISBN: 9782378801151

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