9 mai > BD France

JH, soit peut-être Jean-Henri, Jean-Hervé, Jérôme-Hughes ou simplement "jeune homme", et Sarah rêvent ensemble. En revanche, ils jouissent simultanément mais séparément. Un écran les sépare et les rapproche, derrière lequel "JH sympa" et "Sarah chaude" se dénudent et fantasment. Ces deux trentenaires se sont "rencontrés" sur Internet il y a seulement huit jours. La rencontre pour de vrai se présente de manière moins évidente. Nous sommes à Paris au début du XXIe siècle, un temps où le Web et les jeux vidéo ont brouillé les frontières entre fantasmes et réalité. D’ailleurs, JH est lui-même un artiste vidéaste. Sarah, elle, est DJ. Elle manipule les sons, et aussi pas mal JH. Quand lui aspire à l’amour, même s’il n’est pas certain qu’il puisse l’affronter, elle préfère jouer à cache-cache, l’attirant dans une soirée plus ou moins échangiste ou lui proposant un dîner auquel elle ne vient pas seule.

S’entraîner à la technique du périnée est l’un des défis qu’elle lui lance. Il s’agit pour l’homme, à l’approche de l’orgasme, de contracter violemment ce muscle formant la paroi inférieure du pelvis pour éviter l’éjaculation et ainsi, tout en jouissant tout de même, conserver intact son désir et prolonger son érection. Il s’agit de se retenir en somme, et JH s’y exerce avec une obstination à la hauteur de sa passion et de sa frustration, qui font passer au second plan quelques autres personnages pas forcément moins perdus. Il y a Julie, l’assistante de JH, qui aimerait bien qu’il s’intéresse un peu moins à son écran et un peu plus à elle. Et Jimmy, le monteur de ses œuvres qui, lui, préfère les hommes.

Experts en jeux en tous genres, qu’ils distillent dans des productions aux formats géants (Le royaume, L’Association, 2011) ou au contraire très petits (Un cadeau, micro-album à base de découpes, à l’humour grinçant, L’Association, 2013), Ruppert & Mulot entremêlent savamment séquences oniriques et retours à la réalité. Comme JH, le lecteur ne sait plus toujours où il en est. Il rêve lui aussi, vaguement mélancolique, porté par la poésie des représentations de l’univers fantasmé par les deux amants putatifs et les vidéos quasi lacaniennes de JH, avant d’être cueilli à froid par le constat de la misère sexuelle que révèle et suscite le déferlement des écrans.

Fabrice Piault

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