les nouvelles boss de l'édition 4/5

Sophie Charnavel, à tous les coups

Sophie Charnavel à son bureau à Paris. - Photo Olivier Dion

Sophie Charnavel, à tous les coups

Editrice perfectionniste, la directrice de Plon-Presses de la Renaissance depuis septembre 2018, Sophie Charnavel, est toujours en quête du prochain livre choc. Quatrième volet de notre série de cinq portraits des «nouvelles boss de l'édition».

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Par Claude Combet,
Créé le 11.10.2019 à 14h12

Depuis un an à la tête de Plon et des Presses de la Renaissance, Sophie Charnavel n'est pas nostalgique d'une époque qu'elle n'a pas connue. « Depuis que je suis arrivée, l'édition est en crise. Ma génération n'a pas vécu le temps où il suffisait de poser un livre sur une table pour en vendre 4 000 exemplaires, rappelle l'éditrice de 42 ans. Nous avons un rapport différent à l'édition. Il faut que nous produisions de bons livres car nous avons de la chance d'en vendre encore ».

Sophie Charnavel à son bureau à Paris.- Photo OLIVIER DION

Avec une mère experte comptable et un père dans la logistique, des études d'histoire et de langue et civilisation hébraïque, cette Savoyarde n'avait pas d'attache dans l'édition. Où la mémoire s'attarde, de Raymond Aubrac, publié chez Odile Jacob, a été le déclencheur de sa vocation. « Je me suis dit : c'est ça que je veux faire ». Pendant ses études d'histoire à Lyon III, militante dans l'association Hippocampe, qui lutte contre le racisme et l'antisémitisme, elle rencontre les époux Klarlsfeld, qu'elle publiera chez Fayard, et Guy Birenbaum, qui lui mettra le pied à l'étrier en lui proposant un stage chez Denoël, après un doctorat d'histoire contemporaine à l'Institut des études politiques de Paris et un DESS d'édition à La Sorbonne.

Expertise

« Stagiaire, assistante éditoriale, responsable éditoriale, directrice de maison : je connais tous les rouages de la chaîne », se félicite Sophie Charnavel. Et de citer les confrères qui « lui ont beaucoup appris comme Guy Birenbaum, Jean-Marc Roberts, Michel Lafon, Teresa Cremisi ». Après un stage chez Hachette pour la collection « Pluriel », elle travaille avec Guy Birenbaum chez Denoël sur la collection « Impacts », puis rejoint Jean-Marc Roberts chez Stock comme assistante éditoriale pour les sciences humaines et les documents. En 2004, elle devient éditrice puis directrice éditoriale de Privé, fondé par Guy Birenbaum, Pierre-Louis Rozynès et Emmanuel Pierrat, et le reste après la reprise de la maison en 2007 par Michel Lafon. De 2009 à 2014, directrice littéraire des documents chez Flammarion, elle travaille avec Thierry Billard, qu'elle vient de retrouver chez Plon.

Directrice éditoriale de Fayard/Pauvert/1001 nuits de 2014 à 2017, aux côtés de Sophie de Closets, elle évoque, sans entrer dans les détails d'une collaboration qui s'est mal terminée, « une expérience très enrichissante : je devais bâtir une stratégie éditoriale globale pour les différentes marques. J'ai adoré et beaucoup appris, y compris de la situation compliquée à la fin ». De ce parcours riche dans différentes maisons, elle aime retenir « beaucoup de fonctionnements. Je peux m'intégrer à un système tout en apportant une expertise, estime-t-elle. C'est une gymnastique intellectuelle, comme si j'apprenais une nouvelle langue à chaque fois ».

Perfectionniste, Sophie Charnavel ne laisse « rien au hasard. Tous les maillons de la chaîne doivent être pensés : l'auteur, qui doit être légitime, le texte, la couverture, le positionnement, le timing », clame-t-elle. Pour cette éditrice 2.0, « il faut une stratégie éditoriale, des choix et des partis pris très forts. ». Une youtubeuse dont elle n'a jamais entendu parler dans les meilleures ventes ? « Je m'interroge. En fait, je passe mon temps à me poser des questions ». « Elle ne fonce pas, elle se renseigne, écoute les avis, réfléchit mais elle a insufflé une vitesse qui a surpris tout le monde dans une maison qui ronronnait », raconte Caroline Babulle, attachée de presse de Plon, qui l'a connue chez Hachette.

La bombe Sagan

Sophie Charnavel est une éditrice de « coups ». Alors que d'autres auraient été enclins à la confidence, elle ne lâche rien fin août sur les trois livres travaillés sous X pendant l'été. Elle a même distillé les informations, un mois avant la sortie pour le livre de Christiane Taubira, une semaine pour celui de Jean-Luc Mélenchon, avant de lancer sa « bombe » le 19 septembre : un inédit de Françoise Sagan, grâce à l'amitié nouée avec Denis Westhoff, le fils de l'auteure. « L'édition est vivante. Elle doit bouger, être en prise avec la société, elle ne peut pas être figée dans un arrondissement parisien ou une époque », commente-t-elle. Si on se contentait autrefois de prendre son téléphone, « aujourd'hui, c'est plus compliqué car le réseau ne suffit plus ». « L'actualité va très vite : il faut discerner ce qui va durer de ce qui n'est qu'un feu de paille », ajoute- t-elle, citant l'avocat Juan Branco qu'elle a publié chez Fayard, et Jean-Luc Mélenchon. Et si elle suit Instagram, elle ne s'intéresse pas au nombre de followers mais est « attirée par une écriture, quelque chose de singulier ».

Brillante, réactive, débordant d'idées... sont les qualificatifs qu'utilisent ses confrères à son propos, la comparant parfois à Véronique Cardi pour son énergie et sa volonté d'aller de l'avant. « Sophie Charnavel est une guerrière » dit une éditrice qui souhaite rester anonyme. « C'est une fonceuse et une bosseuse. On la voit enchaîner deux petits-déjeuners dans le quartier, téléphoner, parler à des gens, chercher de nouveaux projets. Elle est partout et ne lâche jamais prise », commente Nicolas Roche, directeur général du Bief, qui a travaillé avec elle chez Stock. « Elle n'a pas froid aux yeux et a une personnalité puissante. Tout l'intéresse : sa curiosité est insatiable », renchérit Alix Penent, directrice éditoriale de Flammarion.

« Alerte champagne »

C'est une battante, qui se bat pour convaincre un auteur de travailler avec elle. Elle a mis huit ans à amener les Klarsfeld à écrire leurs mémoires. Ils ont refusé pendant quatre ans... avant de lui livrer 1,8 million de signes. « Je sais pourquoi je fais un livre », insiste-t-elle. Quand elle a eu le roman du slameur Abd al Malik, elle a été si enthousiaste qu'elle l'a fait lire à toute la maison. Par conséquent, ses auteurs lui vouent une vraie fidélité. Abd al Malik, qui l'a suivi de Flammarion chez Fayard puis chez Plon (Méchantes blessures est sorti pour la rentrée littéraire), confirme : « Elle m'a convaincu parce qu'elle voyait en moi un auteur et avait un vrai projet sur le long terme, une vision de mon travail de poète et de romancier », raconte-t-il. « Nous avons construit quelque chose ensemble et bâti un vrai rapport d'amitié. Je peux compter sur elle », ajoute-t-il, lui qui a accepté de répondre à nos questions en pleine répétition des Justes, de Camus, « parce que c'est Sophie ».

Sophie Charnavel reste discrète sur sa vie privée (un mari secrétaire général administratif du Parti socialiste reconverti en restaurateur et deux garçons de 13 et 10 ans, Solal et Côme), parce qu'elle a la tête au travail. « Elle refuse de s'arrêter sur ce qui fait mal mais ne contourne pas l'obstacle pour autant. Elle a l'art de dédramatiser et de trouver des solutions. Elle possède comme une urgence à avancer », analyse Alix Penent. Ses confrères et collègues louent aussi son sens de l'humour et son goût pour les plaisanteries. Pour motiver les troupes, elle a inventé « l'alerte champagne » pour chaque bonne nouvelle, même #leskevindeledition sont au courant. La dernière a été pour le lancement du Sagan. « Elle capitalise sur les événements positifs car elle sait que la maison a vécu des soubresauts. Elle veut lui redonner confiance », commente Caroline Babulle. Pour Alix Penent, « sérieuse et drôle à la fois, elle est vivante ».

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