Récit/État-Unis 1er novembre Patti Smith

A un rythme soutenu, avec la publication en français, passage obligatoire juste après la version américaine d'origine, Patti Smith poursuit son travail littéraire, son œuvre d'écrivaine. Chacun de ses livres est différent depuis le fabuleux Just kids (Denoël, 2010, puis version augmentée et illustrée avec les photos de Robert Mapplethorpe, le grand amour de sa jeunesse, parue chez Gallimard en 2017), mais présente également un certain nombre de constantes. Auteurs fétiches, au premier rang desquels Arthur Rimbaud, son dieu, souvenirs des personnes aimées, ici sa sœur avec qui elle est venue à Paris pour la première fois en 1969, érudition - notre amie a beaucoup lu, photographié, voyagé, vu de films - et, surtout, fascination pour le processus même de l'écriture. Elle écrit tout le temps, comme cela lui passe par la tête, puis utilise et ordonne cette matière pour en faire un livre forcément composite, riche, où tout n'est pas toujours évident à décrypter. Comme si le livre s'écrivait en écrivant. Tout cela est assez intello, et lui a valu cette image d'icône pop dans l'intelligentsia française.

Le même processus créatif est à l'œuvre dans Dévotion qui tient son titre de celui de la novella centrale du recueil. Il s'agit de l'histoire, nébuleuse, d'Eugenia, une jeune patineuse estonienne surdouée, qui a abandonné ses études. Sauvée par sa tante après que ses parents ont disparu en Sibérie, elle se retrouve en Suisse, où elle s'adonne chaque jour à son art, solitaire sur un étang gelé. Sauf qu'elle est observée attentivement par un homme, dont on apprendra qu'il s'appelle Aleksander Rifa, collectionneur, marchand d'art et admirateur de Rimbaud. Il la séduit, la dépucelle, la confie aux mains expertes de Maria, une coach autrichienne possessive. Puis il l'emmène en voyage, jusqu'en Ethiopie, où tout va basculer.

Le livre avait commencé par un rêve, Patti Smith ayant été impressionnée par Risttuules, un film estonien sur les déportations commises sous Staline dans ce pays, en 1941. Puis viennent ses lectures, Modiano (Accident nocturne), Camus, Simone Weil. Et la voici qui, séjournant fréquemment à Paris, dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés où elle a son éditeur, Gallimard, son hôtel et ses habitudes (petit déjeuner rituel au Flore avec des œufs au plat « miroir »), s'embarque dans une série de pèlerinages. A Paris, dans les pas de Patrick, jusqu'à Ashford, dans le Kent, où elle trouve à grand-peine la tombe de la jeune philosophe Simone, au cimetière de Bybrook (photo et poème), et même à Lourmarin, à l'invitation de Catherine Camus, la fille de l'écrivain. Laquelle, privilège insigne, permet à son hôte de feuilleter seule, durant une heure, le manuscrit du Premier homme, ce qui la renvoie à sa propre écriture.

Ce sont peut-être là les plus belles pages de ce livre riche et divers, où Patti Smith raconte même un rendez-vous avec Antoine Gallimard. Dans le jardin de la NRF, elle ressent la présence des écrivains « qui ont foulé ce même périmètre », Comme Camus, ou Modiano. La boucle est bouclée. Jusqu'au prochain livre.

Patti Smith
Dévotion - Traduit de l’angalis (États-Unis) par Nicolas Richard
Gallimard
Tirage: 25 000 ex.
Prix: 14,50 euros ; 152 p.
ISBN: 9782072768057

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