Avant-portrait

Il y a des livres qui vous marquent à vie, dont on pourrait croire qu’ils ont été écrits pour vous, et qui vous révèlent à vous-même. Pour Louis Meunier, ce fut Les cavaliers de Joseph Kessel, son dernier roman, paru en 1967, qu’il présentait comme son "testament". "Bizarrement, alors que j’ai lu beaucoup de livres d’écrivains-aventuriers, je n’avais pas lu celui-ci, raconte Meunier. Je ne connaissais pas non plus le film qui en a été tiré. C’est un copain qui, en 2002, m’a dit : "Tiens, lis ça." J’y ai vu comme un signe."

Parce que, en 2002, le jeune homme, 23 ans à l’époque, est sur le point de partir pour le Tadjikistan œuvrer pour le compte d’ActionAid au développement de l’industrie du yack. Et puis, au dernier moment, changement de programme. On lui propose l’Afghanistan : Meymana, dans le nord-ouest du pays, entre Herat et Mazar-e-Charif, où "c’était toujours la guerre contre les derniers bastions talibans". Il y restera un an et demi, en tant que responsable logistique et administratif d’une base de son ONG. Louis Meunier y effectue son travail, bien sûr, et "sans peur". "A l’époque, nous étions traités comme des "invités", raconte-t-il. Maintenant, depuis l’intervention américaine, les Occidentaux sont considérés comme des ennemis, et la situation est beaucoup plus dangereuse." En parallèle, passionné depuis toujours par la montagne et le cheval, il en profite pour tenter de se familiariser avec un monde "médiéval" où rien n’a changé depuis des siècles, même pas depuis Kessel !

En particulier, il apprend le buzkashi, dont le nom signifie, en persan, "la brebis arrachée", celui-là même pratiqué par les tchopendoz Ouroz et Toursène, les Cavaliers du roman. Un sport "très rustique et très tribal", reconnaît-il, qui, à l’origine, consiste à s’emparer, à cheval, de la carcasse d’un animal (chèvre, mouton, veau) et à narguer ses adversaires le plus longtemps possible. Le buzkashi est un jeu de pouvoir où tous les coups sont permis, même s’il a été quelque peu modernisé et codifié par Zahir Shah, dernier roi d’Afghanistan et véritable aficionado, mort en 2007. C’est lui, par exemple, qui a institué le karadjaï, le cercle hallal, l’espèce d’en-but où les tchopendoz doivent déposer leur trophée. Sur le terrain, Meunier se casse "quelques os" et observe de près les limites de l’intégration des "invités". "Manifestement, nous ne sommes pas à notre place sur la terre des Pachtounes", ce morceau d’une Asie centrale dont il a rêvé tout gosse, parce que c’est là "où l’aventure peut se vivre".

Le sens de l’aventure.

Qu’on ne croie pas que Louis est une tête brûlée, même si, chez lui, le sens de l’aventure est "génétique". Chez les Meunier, la moitié de la famille, côté maternel surtout, vit ou a vécu en Iran, en Irak, en Afghanistan, en Inde. Ses grands-parents s’occupent d’une ONG à Delhi. Et il s’est rendu souvent dans le pays, un peu partout. Pas trop, de peur d’être "aspiré"… Il a failli naître à Faloudja, en Irak, mais, la situation devenant à ce moment-là, en 1978, tendue, ses parents sont rentrés, et il a vu le jour à Clichy. Un peu "frustré", il se rêve en explorateur, prend la tangente dès qu’il le peut, vers les Etats-Unis ou l’Inde, tout en poursuivant ses études. Diplômé de l’Essec, il tentera même de monter une boulangerie- pâtisserie à Bangalore, la Silicon Valley indienne.

Mais l’Afghanistan et ses cavaliers l’attendaient.

Sur place, Louis Meunier a pris des notes, envoyé des courriels, collecté des documents, écrit des bribes de textes. Tout un matériau dont il s’est servi une fois prise la décision de faire partager son expérience à d’autres, ses lecteurs, et de "témoigner en faveur des Afghans", de ce pays et de cette culture mal connus, mal aimés en Occident. Il en a fait un récit formidable, Les cavaliers afghans, son premier, publié chez Kero dont le patron, Philippe Robinet, se trouve être lui aussi, justement, un fan de Kessel. Ensuite, il verra s’il récidive, et sous quelle forme. "J’ai des velléités de raconter des histoires, explique le jeune auteur, mais, pour l’instant, j’achève le montage de mon premier film de fiction. C’est l’histoire de quatre copains, interprétés par des comédiens afghans du théâtre du Soleil, qui veulent créer un centre culturel à Kaboul. Du coup, le lieu du tournage, un ancien théâtre, ayant été restauré, est devenu un vrai centre culturel, géré par le ministère de la Culture afghan." Tout un symbole qui lui a inspiré ce film avec son ami Laurent Maréchaux, écrivain-aventurier également, lequel en a conçu l’idée originale. Ça devrait s’appeler Emerald Palace. Jean-Claude Perrier

Les cavaliers afghans, Louis Meunier, Kero, 350 p., 20 euros, ISBN : 978-2-36658-110-2. Mise en vente le 26 mai.

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