3 mai > Roman Corée > Jung Young-moon

"Chaque fois qu’ils étaient saouls, mon ex-copine et son petit copain me proposaient de rester avec eux pour toujours. Une fois qu’ils avaient dessaoulé, il n’en était plus question." Si le narrateur d’Un monde dénaturé, troisième roman publié en France du Coréen Jung Young-moon, dans le même état d’enthousiasme éthylique, partage le projet d’un ménage à trois existentiel, une fois qu’il a recouvré ses esprits, pour lui force est de reconnaître : "Je n’en avais plus envie." Un monde dénaturé écrit durant un séjour à San Francisco, au printemps 2010, comme dans les précédents livres de l’écrivain né en 1965 à Hamyang (Corée du Sud), ne se soucie guère de rendre compte du réel mais de la réalité "triturée à [sa] fantaisie". L’auteur de Pierrot en mal de lune (Decrescenzo, 2013) est plus Kafka que Zola. Le narrateur débarque chez une ex qui a fui la jungle urbaine de Séoul pour le désert de Californie : elle habite au milieu de nulle part avec son petit ami mexicain. Elle et lui vivent la plupart du temps nus tant il fait chaud et parce que l’air conditionné fonctionne mal. Le Coréen éprouve tout de suite de la sympathie pour le copain de l’ex-copine que le beau gosse mexicain lui rend bien. Ces deux-là dont l’alcool semble immédiatement sceller une franche amitié se chahutent en s’appelant "frérot", "comme aiment faire les blacks", et même "frangine", "même si on ne vivait pas du tout en "frangines"", précise le narrateur. L’ex travaille dur et est devenue - qui l’eût cru ?, vu le nombre d’heures, dans leur jeunesse, englouties avec les verres, à rêvasser et à se dire des choses qui n’avaient ni queue ni tête - une formidable businesswoman sans que le narrateur sache au juste en quoi consiste ce business. L’amant mexicain, quant à lui, passe le plus clair de son temps in naturabilis à tirer sur des cactus en sirotant de la tequila.

Les tribulations de l’antihéros coréen qui nous entraînent dans des tableaux aussi absurdes que burlesques : un nain faisant du taï-chi, un "crêpage de chignons" entre deux lesbiennes à Hollywood… sont l’occasion pour le narrateur de revenir sur les souvenirs qui ne cessent de ricocher le long de son voyage. Comme cette fois où il avait dû chercher des feuilles pour que sa petite amie, prise d’une crise de colique et obligée de se soulager à l’extérieur, puisse s’essuyer. Si loin si proche, cette intimité si forte qui fut, qui n’est plus mais dont un fil relie pourtant, malgré la fin du sexe et l’ombre de la mort qui plane sur toutes relations. Sean J. Rose

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