21 septembre > Roman France > Elodie Issartel

Le Centre, la Lisière, le Château… Elodie Issartel, pour son deuxième roman Les acouphènes, déploie un paysage à la topographie abstraite. Nous sommes pourtant plongés dans le concret de la fugue d’un jeune de 17 ans : Thomas, à la "tête pas commune" et un balluchon plein de dessins, traverse le Grand Extérieur en quête du Château. Dans cette course folle, on lui emboîte le pas. Thomas repasse au Centre où il a vécu avec les Récalcitrants, revisite ces lieux que fréquentent les gens de la Lisière - la station-service, l’épicerie -, rend visite à une certaine Julia qui a enseigné le français au Centre, s’échappe dans la forêt où il croise la carcasse d’un sanglier, un homme des bois… On le suit pas à pas. Surtout dans sa tête. Quoique les situations soient dépeintes avec toute la rugosité du réel, l’immédiateté de la sensation, le narrateur, on le sent, a décroché de la rationalité chronologique. L’auteure de Festino ! Festino ! (Léo Scheer, 2008) use du discours indirect libre. C’est à la troisième personne, mais c’est Thomas qui (se) parle et voit. Assez vite, on se rend compte que, à côté de certains compagnons d’échappée, un brun et un blond, un frère et une sœur chauves, résidents du Centre, une quatrième personne impose sa vision à la narration. Samuel, "son frère", est la voix de Thomas qui se dédouble, ses commentaires deviennent des acouphènes dans la conscience du héros. On comprend mieux cette impression de mémoire décousue, ces séries de clichés "photographiques" au cadrage intrigant - des images à la fois nettes et hallucinées : "Le ciel est blanc, le vent se lève et c’est beau à regarder. Les peluches de chardons tourbillonnent et les graines volettent. Il peut se faire mordre par un serpent. C’est à se demander si tu ne désires pas le venin. Thomas ignore la remarque de Samuel, il rentre son pantalon dans ses chaussettes, sourit à la dégaine, et il continue."

Elodie Issartel prouve ici que la littérature peut se dispenser d’intrigue. Son protagoniste partage plus que son prénom avec le héros du roman de Blanchot, Thomas l’obscur - une désubjectivation où le sujet glisse vers du vide laissant place à la pure sensorialité, le moi s’éprouve dans sa perte : "Un cadavre indélogeable s’y enfonçait, trouvant dans cette absence de forme la forme parfaite de sa présence." Il y a dans Les acouphènes sans doute plus de corporéité. Epoustouflante que cette scène de lutte à mort entre Thomas et un chien errant que l’adolescent tue en le mordant à la carotide. Pas besoin d’intrigue, mais d’écriture toujours. Et celle d’Issartel est captivante. Sean J. Rose

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