Meurtre sur l'île de Pâques. En 1933, l'île de Pâques appartient depuis quarante-cinq ans au Chili, qui en loue une immense partie à une compagnie anglaise pour y élever des moutons. Sur le territoire restant, les autochtones sont parqués dans une réserve. L'inspecteur chilien Guillermo Valverde est envoyé sur cette terre inhospitalière pour enquêter sur le meurtre, survenu quelques mois plutôt, d'un des Britanniques, Anthony Wilcox, jeune homme beau comme un dieu et apprécié de tous. Valverde se lance dans de méticuleuses investigations, guidé par miss Burnett, une jeune archéologue en butte à une gent masculine condescendante. Les suspects ne manquent pas, entre l'odieux gouverneur de l'île, un collègue de Wilcox irascible et jaloux, sa femme fine gâchette, un médecin trop gentil pour être honnête, ou encore l'assistant taciturne de miss Burnett. L'affaire est peut-être aussi liée à la mort mystérieuse d'une jeune Pascuane quelque temps auparavant...

Déjà aux commandes de l'attachante série de fantasy Bjorn le morphir (Casterman puis Rue de Sèvres, 2009-2018), le dessinateur Thomas Gilbert et le scénariste, romancier et documentariste belge Thomas Lavachery livrent ici une fiction policière bien ficelée. À partir d'une trame classique et éprouvée, avec ses rebondissements et ses fausses pistes, ils sont parvenus à créer un récit palpitant et moderne grâce à une narration impeccable, une toile de fond originale et intéressante, et des personnages bien campés. Avec leur inspecteur Valverde, ils ont construit un héros composite, inspiré à la fois de Sherlock Holmes - accro au laudanum, joueur de violon - et d'Hercule Poirot - son embonpoint, sa moustache, son élégance vestimentaire désuète. Cultivé, beaucoup plus fin qu'il n'en a l'air, ce limier ambigu oscille sans cesse entre léger mépris pour les autochtones - il n'hésite pas à profiter de la position de faiblesse de l'un d'entre eux pour faire avancer son enquête - et empathie - il sympathise avec des lépreux pascuans, leur joue du violon. Le dessin vivant, évocateur, et les couleurs assourdies de Thomas Gilbert traduisent parfaitement l'ambiance tendue qui règne sur l'île, où se côtoient l'opulence, à l'image des soirées chez le gouverneur, et la misère, chez les Pascuans exploités et ostracisés. Empruntant son point de départ à un fait divers rapporté par le grand-père de Thomas Lavachery, archéologue parti en expédition en 1934 sur l'île de Pâques, Caballero bueno se conclut par une résolution inattendue que l'on croirait sortie de l'imagination d'Agatha Christie. L'album ayant pour sous-titre « Une enquête de l'inspecteur Valverde », on espère retrouver ce dernier dans d'autres aventures aussi rondement menées.