Livres Hebdo : Ces dernières années, plusieurs librairies du groupe Gibert ont été contraintes de fermer ou d'être placées en redressement judiciaire. Comment justifiez-vous ces décisions ?
Tony Morcet : Post-Covid, nous avons fait le choix de fermer ou de placer en redressement judiciaire des sites pour lesquels il n’était plus possible de trouver des perspectives d’amélioration ou un équilibre. Ces derniers enregistraient des pertes importantes. Il y avait donc urgence à en fermer à certain nombre, bien que ce ne soit jamais de gaieté de cœur. Outre la fermeture du Quinze Bis, boulevard Saint-Denis à Paris, nous avons récemment mis en redressement judiciaire le magasin de Vaulx-en-Velin qui, contrairement à l’ensemble de nos points de ventes, était situé dans un centre commercial. Depuis la pandémie, le magasin avait perdu 40 % de son activité, entre changement de clientèle et charges trop importantes. Évidemment, nous avons tenté de revoir notre modèle, de négocier avec le bailleur, mais ces pistes n’ont pas abouti.
Aujourd’hui, les autres magasins ont-ils trouvé leur équilibre ?
Pas tous mais nous sommes sur une tendance dynamique. Il était nécessaire de réduire le périmètre pour mieux se redévelopper. Depuis un an, nous avons mené un important travail de fond, nous avons mis en place un certain nombre de choses pour être plus agile, mieux s’adapter.
« Nous aspirons à être acteur important avec une offre différenciée »
Vous avez notamment annoncé, en mars dernier, la mise en place d’une nouvelle stratégie à trois têtes, dont un renforcement de l’offre e-commerce. Comment cela va-t-il s’illustrer ?
Au moment du Covid, la lecture a connu un rebond, les pratiques de consommation ont changé et l'e-commerce a connu une hausse importante. Aujourd’hui, cette activité représente 20 % de notre activité globale, même si nous n’avons jamais attendu la concurrence de nouveaux entrants sur le marché pour proposer l’achat d’ouvrages en ligne. Néanmoins, à ce jour, nous sommes bridés par notre outil logistique. Notre entrepôt à Vitry-sur-Seine atteint ses limites en termes de stockage et d’optimisation de traitement. Alors que nous traitons des milliers d’articles, nous n’avons pas la possibilité, par exemple, d’intégrer des trieurs de produits. Il nous faut donc un espace supplémentaire et une aide à la productivité.
Pour cela, vous avez choisi de faire appel aux services d’ID Logistics, société spécialisée dans la logistique.
La logistique n’étant pas notre cœur d’activité, il nous fallait un acteur sur lequel nous appuyer. Nous avons donc travaillé sur un appel d’offres pour trouver le bon partenaire. Au premier trimestre 2026, nous ne serons a priori plus présents sur le site de Vitry, puisque la totalité de nos salariés sera transférée vers un nouvel entrepôt.

À terme, est-il question d’accroître la part d’activité de l’e-commerce pour contrer la concurrence d’autres acteurs ?
Non, pas nécessairement. Nous ne souhaitons pas diminuer notre activité de vente au détail, nous voulons l’optimiser et la développer en synergie avec la partie e-commerce. Mais nous aspirons à être acteur important avec une offre différenciée. Aujourd’hui, la vente d’occasion n’est pas simple, il y a une vraie prise de risque. C’est aussi pour cela que nous avons décidé de lancer un réseau d’affiliation.
« Lorsque l’on intègre la vente d’occasion, il y a des bonnes pratiques à adopter »
À propos de ce réseau d’affiliation, pouvez-vous nous en dire davantage ?
Nous avons besoin de croissance, nous ne sommes donc pas fermés à l’idée d’obtenir des magasins propres supplémentaires. Mais pas uniquement. L’affiliation devrait nous permettre d’étendre notre maillage et de proposer nos services à d’autres professionnels. Cela peut aller de la prestation de services, en échange d’un taux de commission, à la licence de marque. Les librairies qui le souhaitent pourront donc bénéficier du nom de la marque, s’appuyer sur son savoir-faire. Les autres, qui ont déjà leur propre modèle et qui souhaitent simplement intégrer une offre différenciée, pourront également obtenir nos services. Lorsque l’on intègre la vente d’occasion, il y a des bonnes pratiques à adopter. On ne peut pas seulement acheter des livres indéfiniment. Il faut faire des estimations, établir des sélections en fonction des besoins existants sur le marché.
Avez-vous déjà été sollicité par des libraires depuis l’ouverture des candidatures à ce réseau ?
Disons que nous avons eu des retours, des interlocuteurs intéressés. Aujourd’hui, la conjoncture économique et difficile. Les librairies indépendantes fleurissent, mais plusieurs d’entre elles sont rapidement amenées à fermer. Leur proposer nos services, comme l’intégration d’une offre d’occasion, peut leur permettre de diversifier leur activité et la pérenniser.
« 50% de nos livres d’occasion sont des livres indisponibles en neuf »
Vous faites ce pari alors que le marché de l’occasion est actuellement au cœur de plusieurs réflexions visant à le réglementer. Ne craignez-vous pas que les décisions à venir impactent votre activité ?
Disons que nous sommes attentifs à ce tout ce qui s’est dit. Nous n’avons pas été conviés au Festival du livre de Paris, c’est malheureux, mais nous avons participé à des tables rondes en amont et nous échangeons avec le Médiateur du livre. Il faut peut-être d’abord rappeler ce qu’est l’occasion chez nous. Soutenue par notre application « Gibert Je Vends », celle-ci représente aujourd’hui 35 % de notre chiffre d’affaires. Or, 50 % de nos livres d’occasion sont des livres indisponibles en neuf.
On entend souvent dire que le livre d’occasion vient cannibaliser la vente du livre neuf, mais, chez nous, seules 10 % de nos ventes correspondent à des ouvrages parus il y a moins d’un an. Nous estimons donc à 7 % nos références communes avec le marché du neuf. Cela signifie que nous valorisons avant tout le fonds.

Est-ce que vous comprenez tout de même ces craintes de la part des professionnels de la filière du livre ?
Évidemment, j’entends le discours des éditeurs et des auteurs. Mais mon inquiétude porte aussi sur la problématique de la lecture. Le pass culture a été raboté et désormais, il est question d’une potentielle taxe sur l’occasion. Est-ce que ces mesures vont dans le sens de la promotion de la lecture ? Nous pensons que si le modèle de Gibert, qui associe la vente de livres d’occasion et de livres neufs, a pu perdurer, c’est qu’il existe bien une demande.
Nous n’empêcherons pas le livre d’occasion, mais nous pouvons l’intégrer intelligemment. Aujourd’hui, certains pure-players ne vendent que de l’occasion. Quelle est la valeur ajoutée de ce système au sein de la chaîne du livre ? Si un modèle de taxation est mis en place, il faut, je pense, favoriser les acteurs qui font à la fois du livre neuf et du livre d’occasion.