Roman/France 5 septembre Julia Deck

L'enfer est pavé de bonnes intentions. Et de mauvaise conscience. Le quatrième roman de Julia Deck, un psychodrame immobilier tendance thriller dans lequel on retrouve sa patte cruellement désinvolte, se fait un malin plaisir de vérifier l'adage. La romancière, qui a l'art de débusquer l'irrationnel sous les comportements rationnels (et vice versa), observe la désagrégation d'un projet d'habitat écologique et de son peuplement.

La narratrice, une quadragénaire en couple et sans enfant, vient d'emménager dans l'une des huit maisons au plan identique, bâties sur d'anciens entrepôts reconvertis, réparties de part et d'autre d'une « allée résidentielle pour ménages aisés » et sans garage « pour encourager les circulations douces ». Dans ce mini écoquartier poussé dans une banlieue parisienne en cours de gentrification, chacun dispose d'un jardin mitoyen séparé par une haie de buis. Notre néopropriétaire travaille dans un cabinet d'urbanisme sur un aménagement public parisien tandis que le mari, reclus et dépressif, ne sort que pour honorer son rendez-vous hebdomadaire chez le psy. Avec cette installation mûrement réfléchie s'ouvre la perspective de cohabiter en bonne compagnie. Mais voilà, si les Benani, les Lemoine, les Bohat, Romuald et Romaric et leur fox-terrier, les Taupin ou les Durand-Dubreuil qui « possédaient cinq enfants régulièrement étagés de la Maternelle à la Terminale » sont des voisins plus ou moins discrets donc supportables, les relations sont d'emblée tendues avec les Lecoq, un couple d'agents immobiliers décomplexés. D'autres contrariétés, dont la défaillance du système censé, avec les panneaux solaires, fournir l'eau chaude, l'enlisement de travaux avec nuisances afférentes, ne tardent pas à faire monter la tension au sein de la copropriété. Mais c'est l'assassinat du « gros rouquin », le chat des Lecoq visiblement ignorant des règles de la Propriété privée, qui détériore franchement l'ambiance dans l'allée. Sans compter les odeurs bizarres que la narratrice est seule à sentir.

Julia Deck aime jouer avec les codes de la littérature de genre- Sigmaparu en 2017 s'aventurait vers le roman d'espionnage. Dans ceFenêtre sur courbanlieusard, c'est le polar qui décale le côté étude socio-anthropologique de terrain. L'intrigue criminelle permet de décrire les mœurs d'une microsociété qui a tout d'une grande. Où la défense de l'espace vital est masquée par une sociabilité faussement décontractée. Où se révèlent des conflits de territoire et des guerres de tranchées. Bien vite, la convivialité se transforme en surveillance, les alliances scellées à coups d'apéros craquent, la paranoïa (qui saisit également le lecteur à l'affût des indices) fait trouver tout « louche ». Le « vivre ensemble » s'avère un chacun chez soi, et le « créer du lien » une aspiration peu résistante au « traître agencement de [nos] habitats ». Il ne faut pas grand-chose pour que ces voisins à portée d'yeux et d'oreilles deviennent des intrus sournois voire des ennemis mortels. 

Julia Deck
Propriété privée
Les Éditions de Minuit
Tirage: 7 000 EX.
Prix: 16 euros ; 176 p.
ISBN: 9782707345783

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