12 janvier > Essai France > Michel Pierre

Michel Pierre nous rappelle cette curieuse étymologie. Le mot bagne viendrait du mot espagnol baño qui signifie "bain". Symboliquement, on comprend alors ces établissements disciplinaires comme un moyen pour la nation de laver son linge sale. Spécialiste du sujet - il publia dès 1982 chez Ramsay une Histoire des bagnes de Guyane -, cet historien diplomate et voyageur retrace l’aventure sans pareille d’une institution qui fit souffrir les adultes comme les enfants.

Avant 1748, ce furent les galères. Après, elles restèrent à quai, dans les ports de Brest, Rochefort et Toulon, mais il y eut toujours des galériens pour venir s’y épuiser et souvent y mourir. Si les chiourmes ne naviguent plus, on navigue quelquefois pour y aller, en Guyane, en Nouvelle-Calédonie, en Indochine ou en Afrique du Nord. C’est là qu’on baptisa "Biribi" cette colonie pénitentiaire dans l’argot des casernes.

Ils sont nombreux, anarchistes, communistes, insoumis, vagabonds à avoir été envoyés là-bas. Chronologiquement, cartes à l’appui, Michel Pierre déroule avec un vrai talent de conteur la terrible infortune de ces forçats qui portaient un anneau de fer à la cheville, la manille. Il raconte cette société à part avec ses codes, ses chefs et son langage. De ces bagnes sont sortis "butter", "cavale", "faire gaffe", "pogne", "tune", "guibolle", "toquante", "jacter", "pioncer"… Il montre la survie quotidienne, les conditions climatiques extrêmes, la nourriture infecte et la mort qui rôde.

Sur le continent, il y eut aussi des bagnes pour enfants, surtout les enfants pauvres. Sous le second Empire, un gamin de 11 ans et demi fut condamné à deux ans de prison. Il avait volé un lapin et deux canards ! Dans ces "maisons de redressement" où l’on alterne travaux des champs et corrections, les "petits malheureux" que l’on nomme "mauvaise graine" sont confiés à des matons éducateurs. Dans les années 1930, les pensionnaires d’une maison d’éducation surveillée à Belle-Ile se révoltèrent et attirèrent l’attention de la presse. Roger Vaillant signa un reportage fameux sur ces "bagnes d’enfants" qui perduraient. Truffaut les dénonça dans Les quatre cents coups en 1959, puisant dans ses souvenirs du centre d’observation des délinquants mineurs de Villejuif. Les derniers forçats avaient quitté la Guyane six ans plus tôt, mais le bagne était encore dans les têtes. Pour Michel Pierre, il interroge toujours l’absence d’une politique pénale plus humaine. Laurent Lemire

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