10 JANVIER - ROMAN France

Officier de marine, Bernard Bonnelle a sillonné longtemps les mers du globe, avant de poser sac à terre, de se recycler dans l'administration, et d'écrire des romans. Rejoignant ainsi la compagnie des marins-écrivains, les Loti, Farrère, Monfreid...

Les héros des Belles Abyssines - joli nom pour un bordel borgne de Djibouti ! - sont deux jeunes officiers, deux amis qui se sont connus à Henri-IV, puis se sont retrouvés à l'Ecole navale de Brest. Alban de Perthes, un enfant de la Haute Société Protestante, parent éloigné de Gide - qui lui a même dédicacé un exemplaire de ses Nourritures terrestres -, est un peu un chevalier à l'ancienne, un homme de principes et d'honneur, un idéaliste qui s'engage dans la marine pour servir. Brillant sujet, de surcroît. Plus terne et plus modeste, plus terre à terre, Pierre Jouhannaud, le narrateur, suivra les traces de son ami. En 1938, après le piteux Munich, alors que la guerre menace, Alban de Perthes est affecté à Djibouti, où il prend le commandement de L'Etoile du Sud, un bateau pourri chargé de patrouiller le long de la Côte française des Somalis, dernier confetti de notre Empire dans ce coin, menacé par les visées expansionnistes des Italiens de Mussolini. Un an après, on apprend qu'Alban est mort, "en nettoyant son pistolet". Pierre, nommé à son poste, et qui ne croit pas un seul instant à la thèse officielle de "l'accident", débarque à son tour à Djibouti et commence à mener son enquête, tant sur L'Etoile du Sud, qu'il commande, qu'à terre. Il se heurte très vite au commandant Marquin, qui dirige la base, un tyran et un lâche, qui détestait Alban, et qui "collaborera" pendant la guerre. Cela ne l'empêchera pas d'être promu plus tard amiral. Il affronte aussi l'hostilité de Potemkine, un type louche, au centre de tous les trafics.

Durant son enquête, Pierre rencontre Eyodora, une jeune Ethiopienne dont Alban était tombé amoureux sans savoir qu'elle se prostituait pour vivre. Il envisageait de l'épouser, d'adopter sa foi. Il fait aussi la connaissance du capitaine Cassagnac, le seul qui appréciait Alban, et sur la mort duquel il va finir par raconter la vérité. Cassagnac et Jouhannaud, après l'Appel du 18 juin, ont décidé de rallier Londres et la France libre. Alban, s'il avait vécu, si son amour impossible n'était pas devenu plus fort que tout, les aurait sûrement accompagnés.

Servi par une écriture classique, fluide, élégante, Aux belles Abyssines est un roman habilement construit, avec plusieurs récits entremêlés, un jeu de flash-back et de digressions, mais qui jamais n'en complexifient la lecture. Certaines pages, superbes, comme l'aventure de Cassagnac, qui conquiert Issarda juste après l'entrée en guerre des Italiens et leur invasion de l'Ethiopie, rappellent Le désert des Tartares. L'atmosphère de bout puis de fin d'un monde qui régnait à Djibouti est parfaitement rendue. Quant à Alban de Perthes, il est de ces personnages que l'on n'oubliera pas.

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