Roman/Etats-Unis 6 juin Harry Crews

John Kaimon, très jeune SDF du Mississipi échoué en Floride, avec pour seule possession un tricot avec le portrait imprimé dans le dos de son compatriote admiré William Faulkner, pense en connaître un rayon en matière de profondeur infernale de l'âme humaine. Il prétend aussi qu'il peut « tout croire ». Mais « pour croire ce qui est ici, vous devez cesser de croire le reste du monde », lui assène doctement la splendide jeune femme en bikini jaune qu'il vient de voir mettre une dérouillée à un gars en pantalon blanc sur une plage à l'écart de Miami. Il veut pourtant entrer dans « le jeu », intégrer cette étrange communauté de karatékas intégristes qui sous la tutelle de Belt, un impassible maître, s'entraînent dans la piscine vide d'un motel désaffecté, sous l'enseigne duquel est inscrit en lettres rouge « Karaté - la défense ultime ». Pour devenir purs esprits, des ascètes guerriers, accéder au contrôle total, ils ont abandonné leur vie d'avant et jusqu'à leurs noms. Ils se nourrissent uniquement de pilules, de poudres, agrémentées d'une « boue brune et épaisse » en guise de « sauce », dans cette quête de pureté où il s'agit de « se purger de tout ce qui n'est pas le karaté ». Parmi la dizaine de pensionnaires du dojo, Gaye Nell Odell alias « ceinture marron », « pour une gonzesse, plutôt coriace », observe respectueux notre jeune novice, est une déesse à sang-froid qui participe à des concours. de reines de beauté. « Elle est dangereuse et il a peur ». Le karaté est un état d'esprit, c'est de la sueur et des larmes de sang. Des mains aux jointures déformées à force de fendre des pierres et de frapper dans des planches. Des routines guerrières et des mises à l'épreuve entrecoupées de séances de méditation. Et gare à l'élève qui cille devant une paire de seins dénudés.

Les durs au mal, les paumés et les monstres de tout genre, toute la faune cabossée d'Harry Crews, inspirée du monde white trashde la Géorgie rurale de son enfance (voir son autobiographieDes mules et des hommes) lutte farouchement dans ce roman de 1971, qui, tandis que La malédiction du gitanetCar est repris en « Folio policier », est le troisième roman inédit en français publié par Sonatine aprèsNu dans le jardin d'Eden(2013) etLes portes de l'enfer(2015) apportés et traduits par Patrick Raynal qui avait publié l'écrivain culte dans la Série Noire. Ici encore, le corps et le sexe sont à la fois arme, malédiction et rédemption, même si prévient-il en préliminaire : « Aucune méthode particulière de karaté n'a été décrite dans ce roman. Ce qui est décrit ici est le karaté comme manifeste dans la vie de personnages spécifiques dans une action spécifique. Je respecte l'ancestrale et honorable manière de vivre connue sous le nom de karaté et l'emploi que j'ai fait ici du karaté n'est que celui qu'un romancier fait de n'importe quel sujet qu'il s'approprie ». Si ces karatékas de l'extrême « pratiquent la violence non violente », la prose d'Harry Crews, elle aussi, cogne fort mais tendrement. A l'estomac. 

Harry Crews
Le karaté est un état d’esprit - Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Patrick Raynal
Sonatine
Tirage: 2 800 ex.
Prix: 20 euros ; 240 p.
ISBN: 9782355845062

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