Hachette et Google ont enfin signé fin juillet leur fameux accord de numérisation, préfiguré dans un premier protocole datant de novembre dernier. En bref, il s’agit de rendre accessible, par leur numérisation, les dizaines de milliers de titres publiés par le numéro un de l’édition française et qui sont épuisés en version papier. Sans porter de jugement « politique » sur cet accord, le juriste ne peut que rappeler les conditions légales auxquelles il est assujetti, pour lesquelles le communiqué officiel ne fait guère allusion.   D’emblée, se pose une question essentielle : qu’est-ce qu’un livre épuisé ? La loi ne laisse pas tout un chacun forger sa propre conception du livre épuisé. Bien au contraire, elle le définit et en régit précisément les conséquences sur les droits du créateur comme de son éditeur. L'article L. 132-12 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) rappelle que «  l'éditeur est tenu d'assurer à l'œuvre une exploitation permanente et suivie et une diffusion commerciale, conformément aux usages de la profession  ». Cela signifie notamment que le livre doit être disponible.   L'article L. 1322-17 du même code précise que le contrat d’édition est résilié «  de plein droit lorsque, sur mise en demeure de l’auteur lui impartissant un délai convenable, l’éditeur n’a pas procédé (...) en cas d’épuisement, à sa réédition.  » Le CPI a pris soin de détailler la notion d' «  épuisement  », puisque «  l’édition est considérée comme épuisée si deux demandes de livraisons d’exemplaires adressées à l’éditeur ne sont pas satisfaites dans les trois mois.  » Pour l’auteur, la récupération des droits sur son livre qu'il affirme être épuisé n'est donc pas si simple. La procédure nécessite en premier lieu l'obtention par l'auteur de la preuve de ces deux demandes de livraison non satisfaites, c'est-à-dire, en fait, des commandes écrites de libraires comportant la mention «  non disponible  ». Le Tribunal de grande instance de Paris a souligné, en 1983, qu'une telle preuve ne pouvait résulter que de demandes adressées à l'éditeur lui-même. Ce n'est que fort de ces documents, dont nombre de gens de lettres croient pouvoir faire l'économie, que le créateur pourra ensuite mettre en demeure son éditeur, par lettre recommandée avec accusé de réception, de rééditer ; et c'est après un «  délai raisonnable  » qu'il pourra considérer avoir repris ses droits. L'auteur excédé devra alors patienter jusqu'à l'expiration dudit délai. En 1997, la même Cour a cependant estimé qu'un éditeur ne pouvait légitimement rééditer un titre disparu de son catalogue depuis plus de vingt ans... On voit ainsi que pour l’éditeur non plus, la notion de livre épuisé ne se décrète pas d’un trait de plume au bas d’un registre d’inventaire. En clair, le formalisme apparent ne permettra pas à Hachette de passer en force au motif que l’auteur n’aurait pas adressé la lettre ad hoc . Par ailleurs, un autre point essentiel ne manquera pas de se poser : la « réédition » sous forme numérique peut-elle être considérée comme une authentique réédition ? Pour qu'un tribunal se prononce valablement en faveur d'une maison d'édition, encore faudrait-il que celle-ci ait été au préalable autorisée, par le contrat d'édition, à procéder à une commercialisation numérique. Tout éditeur qui envisage une exploitation, directe ou indirecte, sous forme électronique, de titres qu’il a précédemment publiés sur un support « classique », doit donc relire attentivement des contrats parfois anciens. Si les droits ont été cédés à l’éditeur de façon claire, l’auteur reste a priori titulaire de ses droits multimédias. Bien souvent, l’éditeur s’apercevra donc qu’il ne dispose pas, en théorie, de la faculté d’exploiter les ouvrages de son fonds sur un support multimédia. Il en sera réduit, le cas échéant, à demander expressément les droits pour le numérique à son auteur ou aux ayants droit de celui-ci. Une lettre-accord diplomatique, qui aura valeur d’avenant si elle est contresignée par les intéressés, sera souvent plus facilement acceptable qu’une tentative de négociation abrupte. Au cas où les interlocuteurs de l’éditeur s’y refuseraient, ou même ne lui répondraient pas par écrit, l’éditeur risquerait, s’il passait outre leur autorisation, d’être poursuivi pour contrefaçon. Les deux géants ont mis huit mois à accoucher d’un accord définitif. Le reste du parcours pourrait prendre des allures de chemin de croix.
15.10 2013

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