14 janvier > Premier Roman Royaume-Uni

En 1992, la galerie Saatchi de Londres présente l’avant-garde artistique britannique : les Young British Artists (YBA). L’un d’entre eux signe L’impossibilité physique de la mort dans la tête de quelqu’un de vivant : il s’agit d’un requin dans un aquarium de formol. Damien Hirst se fera connaître par d’autres œuvres tout aussi provocatrices : une vache et son veau coupés dans le sens de la longueur flottant dans un bocal comme l’œuvre au squale ou une tête de bœuf putrescente avec de vraies mouches virevoltant autour. Mais dans Randall, le premier roman de Jonathan Gibbs, Damien Hirst est mort. Le camarade d’école d’art du héros éponyme du livre s’est fait faucher par un train un jour d’inattention éthylique. Au grand dam des contempteurs de l’art contemporain, Hirst a beau avoir disparu, la révolution opérée dans les arts plastiques depuis l’urinoir de Marcel Duchamp continue d’étendre son empire. Randall, le héros de Gibbs, est le Rastignac au catogan qui deviendra l’astre le plus brillant du firmament du marché de l’art. Jeune étudiant en quête de fonds et d’un lieu pour exposer, il a ce mot en réponse au financier collectionneur, boss de Vincent Cartwright, narrateur et courtier d’une banque d’affaires, qui lui demande s’il fait de la peinture : "On n’a pas plus de raisons d’étaler de la peinture sur une toile de nos jours qu’il y en aurait à déterrer et à baiser le cadavre de son grand-père."

D’ailleurs lorsque son riche interlocuteur lui offre 100 livres pour un portrait, Randall s’exécute et crée en direct une "sculpture" avec la bouteille de champagne vide qui trempait dans le seau à glace et un billet plié en forme de banane qu’il colle sur le flacon en guise de bouche. Bluffé par le culot, Jan de Vries, DG d’un fonds d’investissement et chasseur de têtes en jeunes talents artistiques, propose de racheter l’œuvre pour le décuple… L’art c’est l’idée de l’art. Dans le morne cimetière des formes (Jean de La Bruyère a raison : qu’est-ce qui n’a pas été déjà dit ?), Randall a trouvé un concept génial. Au sortir des cabinets lui vient l’idée de reproduire en sérigraphies géantes et colorées l’image de ses étrons. Cette série, Pleins soleils, fait de Randall le Warhol de la scatologie, et qu’importe si, en 1961, Piero Manzoni vendait ses excréments dans des boîtes de conserve étiquetées Merda d’artista.

Sean J. Rose

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