16 janvier > PREMIER Roman France > Blandine Rinkel

Elle a 65 ans. Ce n’est pas si vieux, ce n’est plus tout jeune. De toute façon, Jeanine est une femme de l’entre-deux. Entre héroïne du quotidien et Bartleby. Entre la France rurale, dont elle vient, et celle des petites villes oubliées de l’aménagement du territoire (en l’occurrence Rezé, Loire-Atlantique) où elle a vécu, exercé sa profession d’enseignante, s’est mariée, a divorcé, pris sa retraite, n’a pas osé franchir le plafond de verre que ses études l’autorisaient à espérer, a abandonné toute prétention à vivre mieux ou plus et passe désormais ses jours, dans une touchante constance, à recueillir autant de chiens sans collier. Qui tous mordront la main qui se propose de les nourrir. Il y a là, comme exilés loin des convulsions du monde, dans cette France de 2016 tristement encalminée, un architecte syrien encore un peu sous les bombes, un taulard ingrat, une camionnette voleuse, une Espagnole menteuse ou des musulmanes reconverties en témoins de Jéhovah. Il y a aussi sa fille, à laquelle la lie un amour vrai et navré.

Cette fille, c’est Blandine Rinkel. Cette jeune femme (24 ans), déjà repérée ici ou là pour la violence douce de son rapport au monde, au livre et à la création contemporaine, offre avec L’abandon des prétentions, son premier roman, le plus juste des livres. Sans jamais sombrer dans l’obscénité de l’ironie, elle livre avec ce portrait de sa mère, dont le motif caché dans le tapis est bien sûr aussi un autoportrait, un état des choses et des lieux politique autant que générationnel ("Quel vertige cela peut être le soir, lorsqu’on a 23 ans, que l’on rentre d’une journée d’obligations et que l’on bavarde rapidement avec un ami d’adolescence, quel vertige cela peut être quand pour nous donner de ses nouvelles il nous indique ses récentes positions, sociales et puis géographiques, comme dans un jeu de bataille navale, celles qu’il a touchées et ces autres, qu’il est parvenu à couler, quel vertige cela peut être de comprendre, ou simplement de constater, que chacun autour de soi trouve sa place"). De soi ou du réel, Blandine Rinkel peut douter ; ne doutons pas qu’elle soit déjà un magnifique écrivain. Olivier Mony

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