Roman/France 24 octobre Jérémie Lefebvre

L'art de déclencher un psychodrame à partir d'un défi apparemment sans conséquences ou comment un pari à l'enjeu plutôt anodin - demander à une Sicilienne de prouver qu'elle est capable de ne pas passer Noël en famille - peut avoir des retombées aussi inattendues que piteuses ? Doctorante en littérature à Paris, Francesca, 24 ans, la narratrice italienne du cinquième livre de Jérémie Lefebvre, en raconte l'expérience douce-amère. Pour prendre au mot un ami, professeur d'épistémologie de l'histoire à La Sorbonne, et lui montrer qu'elle est libérée depuis longtemps des contraintes familiales et du carcan des rituels culturels symboliques, la jeune étudiante rentre à Palerme la veille de Noël pour informer sa mère, son père, son frère et sa jeune sœur qu'elle se dispensera cette année de la traditionnelle fête en famille. L'annonce semble être à la fois d'une audace folle pour la Sicilienne expatriée qu'elle est, et une simple formalité pour la fille affranchie qu'elle prétend être. Il s'agit aussi pour elle de prouver à son ami, intellectuel parisien sûr de ses clichés, qu'une Italienne aussi « savait piétiner les fondamentaux » et que la France « n'avait pas le monopole de l'atomisation sociale et de la décadence ». Du moins c'est le genre de justifications qu'elle sert à son frère, un licencié en philosophie devenu maître-nageur qui de son côté convoque Hegel et Kant pour la sermonner en soulignant l'égoïsme et l'inconséquence de cette décision. Dès le début du récit à la première personne, confié après coup à un chat indifférent, en dépit de l'ironie et de l'auto dérision que la jeune femme manie avec assurance, il est évident que les choses n'ont pas tourné comme elle l'avait anticipé. Et que l'expérience s'est révélée plus « complexe et instructive » que prévu. Que toute sa lucidité et son détachement, toute la capacité analytique et la conscience éclairée dont elle croyait être équipée, toutes ses démonstrations d'indépendance ont rencontré plus fort qu'elle. Rattrapée par ses contradictions, par l'ambivalence de ses motivations (peur de perdre la face), ses propres doutes et sa mauvaise foi, elle va surtout se retrouver dépassée par les très imaginatives manœuvres de persuasion de ses proches, prêts à tout pour la faire changer d'avis, déployant sous couvert de compréhension, un spectre large de stratégies : chantage affectif, moment d'intimité complice, argumentations frontales - « Tu te trompes d'ennemis », lui assène sa mère -, mensonges... Le deuxième roman dans la collection « Qui vive » de l'auteur d'Avril (Buchet-Chastel, 2016), questionne en mode tragicomique l'ambiguïté de la notion d'appartenance, les loyautés insoupçonnées, les identités construites par les liens familiaux sur fond de problématiques plus politiques de société. C'est l'histoire d'un défi qui devient épreuve de vérité, amusant comme tous jeux tant qu'on ne le prend pas trop au sérieux.

Jérémie Lefebvre
L'Italienne qui ne voulait pas fêter Noël
Buchet-Chastel
Tirage: 7 000 ex.
Prix: 15 euros ; 264 p.
ISBN: 9782283033265

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