Pour ceux qui s'intéressent aux bibliothèques, cette rentrée est marquée par la publication de la synthèse nationale des données 2010 sur les bibliothèques et points d'accès aux livres [ voir l'étude ]. Ce travail riche et précis, réalisé par l'Observatoire de la Lecture Publique du Service du Livre et de la Lecture, vient combler un manque dans la connaissance de la réalité de la situation. Rédigé dans un souci de description, il ne cède que très peu de place au commentaire des résultats. Voici quelques éléments qui retiennent l'attention quand on part du point de vue de l'usager. L'originalité de ces données réside dans le fait d'intégrer toutes les offres publiques de livre en intégrant les points lecture et dépôts de livres. L'échantillon de référence se compose ainsi de plus 15 600 lieux de lecture . Il ressort que les bibliothèques de niveau 1 (qui consacrent au moins 2€ de dépenses d'acquisitions par habitant, ouvrent au moins 12h hebdomadaire, disposent d'un personnel qualifié, et offrent au moins 100 m² et 0,07m² par habitant) représentent seulement 11% des équipements dédiés à la lecture publique . Ils desservent 35% de la population ce qui veut dire que 2/3 de la population a accès à une offre de lecture publique au sein de sa collectivité (commune ou intercommunalité) qui est faiblement attractive car peu ouverte, exiguë et peu dotée en ressources documentaires. En réalité, une partie des deux tiers délaissent leur offre locale et se tournent vers les établissements les plus attractifs qui se trouvent hors de leur commune. On comprend mieux pourquoi, malgré la difficulté financière de nombre de collectivités, certains projets d'établissements fleurissent encore notamment dans les communes ou intercommunalités de petites tailles ou en zones rurales. 57% des équipements implantés dans les unités urbaines de moins de 20 000 habitants sont des bibliothèques de niveau 3 ou des points d'accès au livre, c'est le cas de 90% de ceux en zone rurale. Le mouvement continue de créations de bibliothèques depuis les années 70 a largement comblé ce que l'on a longtemps appelé le « retard français » sans y parvenir totalement. Il faut toutefois montrer une grande méfiance à l'égard d'une politique de lecture publique tournée vers la « pierre », le bâtiment. La défaillance de l'offre des bibliothèques se situe au moins autant du côté des horaires d'ouverture . Même en laissant de côté les points d'accès au livre, seules 20% des bibliothèques sont ouvertes au moins 30h par semaine. Du point de vue des horaires d'ouverture, le seuil se situe dans les bibliothèques de commune de plus de 100 000 habitants. A partir de ce seuil, les bibliothèques sont ouvertes au moins 41h en moyenne alors que dans la tranche inférieure (50 000 habitants à 100 000), la  moyenne s'établit à 31h45. Ce constat dressé depuis longtemps est confirmé et devrait conduire à un large débat au sein de la profession mais aussi avec les élus pour trouver des pistes d'amélioration. Du point de vue des collections, la synthèse offre une vision du volume global de documents proposés par les établissements de lecture publique. Il s'élève à 263 millions d'unités dont 235 millions de livres . Un tel chiffre montre à quel point le tissu d'équipements de lecture publique participe à la diffusion du livre et des autres supports. Ce volume peut être comparé avec celui des Etats-Unis [ voir étude ] qui propose un total de 921 millions de documents pour une population 5 fois plus nombreuse. Le nombre de documents par habitants est de 3 pour les Etats-Unis contre 4 en France. Du point de vue des collections, s'il existe un défaut d'attractivité des bibliothèques françaises, il ne réside donc pas dans le volume mais dans ce qui serait proposé. La défense de la bibliodiversité semble bien assurée en France. Bien sûr, les collections demeurent principalement constituées de livres. Comme aux Etats-Unis, la part de livres est de 89% dans le total des collections . L'ouverture à d'autres supports n'a pas fait disparaître la position hégémonique du livre. Si seules 3% des bibliothèques de grandes agglomérations n'offrent que des livres, la proportion monte rapidement à 10% (20 à 50 000 habitants) et 30% (10 à 20 000). Le « modèle médiathèque » ne s'est pas encore généralisé, notamment dans les plus petites villes. L'examen des acquisitions ne montre pas une forte correction vers les CD ou les vidéo puisque les livres représentent 82% des achats de documents. A l'intérieur des « non-livres », l'ancienneté des phonogrammes (CD) pèse sur les collections puisqu'ils forment plus des trois quarts des collections audio-visuelles. Les acquisitions cherchent à atténuer cet ancrage vers la musique puisque ce support représente moins des deux tiers des achats. Ce rééquilibrage se justifie largement car les vidéos font désormais jeu égal avec les CD dans les prêts là où elles représentaient 39% en 2008. Les bibliothèques demeurent donc largement dédiées au livre même si les pratiques des citoyens évoluent progressivement vers l'audio-visuel et plus particulièrement vers la vidéo. Dès lors, il est légitime de s'étonner devant l' absence d'une offre de jeux-vidéos en 2010 et le chemin à parcourir pour combler ce manque... Pourtant aussi nouveau que les consoles de jeu-vidéo, l'informatique a pleinement fait son entrée dans les bibliothèques. 86% d'entre elles ont désormais un catalogue informatisé (97% dans les bibliothèques de niveau 1). 38% ont même un site internet même si c'est surtout le cas des équipements de niveau 1 (62%). Presque la totalité de celles qui ont leur site proposent leur catalogue en ligne, un peu moins de la moitié donnent accès au compte lecteur et plus d'un tiers permettent de faire des réservations en ligne. En revanche l'inscription en ligne reste marginale y compris dans les bibliothèques de niveau 1 (5%) ce qui doit étonner plus d'un usager à l'heure où ils peuvent déclarer leurs impôts, faire des achats sur Internet... A l'heure où Internet devient une pratique ordinaire pour une large majorité de la population, les bibliothèques prennent leur part à cette évolution puisque deux tiers proposent un accès à Internet (90% des équipements de niveau 1). Le rapport ne fournit pas la part des bibliothèques qui offrent du réseau Wifi. Ce serait nécessaire car c'est sans doute dans cette direction que l'offre d'Internet doit évoluer tant le marché de l'ordinateur portable prend le dessus désormais (plus de 80% des ventes d'ordinateurs en 2011). Le rapport 2010 s'intéresse plus que les précédents à l'étude des partenariats et manifestations culturelles développées par les bibliothèques. Il ressort que le public jeunesse est particulièrement ciblé par les équipements . 95% d'entre eux ont des relations de coopération ou de partenariat avec des écoles primaires et 64% avec des services de petite enfance. Les bibliothèques savent se mettre en lien avec d'autres institutions en charge de la fraction la plus jeune de notre population. Mais elles s'adressent à lui aussi par la traditionnelle «  heure du conte  » qui, nous dit le rapport, «  concentre à elle seule 41% des manifestations organisées par les bibliothèques  ». Passé l'Ecole primaire, les jeunes sont moins la cible des établissements. Si 61% des bibliothèques ont des relations avec des centres de loisirs, il n'est pas du tout certain que ce soit à propos d'adolescents. Seulement 32% ont des liens avec des collèges et 15% avec des lycées . Si donc l'enfance (y compris petite enfance) relève de l'activité générale des bibliothèques, les adolescents, au fur et à mesure qu'ils désertent les bibliothèques, entrent dans des catégories particulières comme d'autres (malades, prisonniers, demandeurs d'emplois). A cette position, ils sont même moins ciblés que les personnes âgées puisque 36% des bibliothèques ont établi des liens avec des maisons de retraite. L'enquête montre en chiffre ce qui ressort de  la lecture de la presse quotidienne régionale à propos des bibliothèques. Elles organisent presque toutes des manifestations culturelles (84% des bibliothèques en général et  95% de celles de niveau 1) et très souvent des expositions (respectivement 72% et 93%). Les bibliothèques se sont emparées d'une fonction d' organisateur d'événements culturels qu'elles soient ou non les seuls équipements de ce type dans la localité. Cela pose avec force, selon moi, la question de ce que cela produit sur l'image et la fréquentation dont la bibliothèque fait l'objet. C'est en effet une composante non négligeable de la manière dont elle se donne à voir auprès de l'ensemble de la population qu'elle dessert. C'est aussi un domaine qui demande du temps de travail lequel n'est pas consacré à l'ouverture des lieux. Des études sur ces sujets seraient à multiplier y compris monographiques afin de répondre, sans a priori, à cette interrogation légitime. La synthèse de l'observatoire de la lecture publique dresse donc un portrait des bibliothèques en demi-teinte : des horaires d'ouverture trop réduits, une large offre documentaire encore marquée par la domination des livres, des services Internet à parfaire, une politique d'action culturelle qui reste à évaluer. Au plan local comme au plan national, ces données gagneraient à nourrir une réflexion qui pose les publics (actuel et potentiel) comme au cœur des bibliothèques.  
15.10 2013

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