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À un siècle près

Jean Cocteau - Photo DR

À un siècle près

Chaque mois, notre chroniqueur Jean-Claude Perrier flâne dans les rues du Quartier latin, souvent le nez en l’air, sur les traces d’un écrivain, d’un éditeur, d’une librairie, sans se priver de saluer des créations, ni de moquer les travers de notre époque, en particulier son charabia.

Cette année-là, les éditeurs avaient misé sur quelques écrivains appelés à devenir des grands : Cocteau et son Thomas l'imposteur, Mauriac avec Genitrix, Kessel et son Équipage, sans oublier madame Colette, enfin elle-même dans Le blé en herbe. En poésie, Breton imaginait Clair de terre, Valéry traitait d'Eupalinos ou l'Architecte. Et un météore de 20 ans, Raymond Radiguet, déboulait avec Le diable au corps. Un triomphe dont il ne profitera guère, emporté par la fièvre typhoïde le 12 décembre. Parmi les autres disparus, Loti, Barrès, ou encore l'illustre Sarah Bernhardt, qui serait bien née, d'après des recherches récentes, le 22 octobre 1844, 5, rue de l'École-de-Médecine, au cœur du Quartier latin.

Du côté des grands prix littéraires, le Goncourt récompensait Rabevel ou le Mal des ardents d'un certain Lucien Fabre, poète, industriel et inventeur aujourd'hui totalement oublié. Le Femina allait, pour Les allongés, à Jeanne Galzy, une pionnière du féminisme et du lesbianisme qu'il faudrait peut-être relire avec nos yeux d'aujourd'hui. Le Grand Prix du roman de l'Académie française, lui, couronnait La Brière, qui fut un best-seller en librairie. L'auteur s'appelait Châteaubriant, Alphonse de, mais rien à voir avec le vicomte François-René. D'ailleurs, leurs noms ne s'écrivent pas de la même façon. 

Quant au fameux filet de bœuf servi autrefois dans toutes les brasseries du Village, sa paternité et son orthographe demeurent disputées : serait-ce une invention du cuisinier de l'auteur des Mémoires d'outre-tombe, ou une création des Castelbriantais de Loire-Atlantique (44110) ? On l'ignore. Il faudrait mettre les Dupond·t sur le coup.

Ce que l'on sait, en revanche, c'est que Châteaubriant, déjà lauréat du Goncourt en 1911 pour Monsieur des Lourdines, roman campagnard, allait très mal tourner. Dans les années 1930, il se convertit au nazisme, rencontre Hitler, fasciné. Sous l'Occupation, il sera un collabo forcené, et mourra en exil au Tyrol. 

C'était l'année 1923, et le Nobel de littérature couronnait l'immense poète irlandais William Butler Yeats, lequel finit sa vie sur la Côte d'Azur. Malheureusement, en ce temps-là, Livres Hebdo n'existait pas, et on ignore combien de titres parurent à la rentrée 1923. Ce qu'on constate, toutefois, c'est que ce ne sont pas les lauréats des prix d'automne - dont le système existait déjà, mais sans doute moins tout-puissant que de nos jours- qui sont passés à la postérité, ou alors pour de mauvaises raisons. Voilà de quoi rassurer par avance les 321 auteurs français, dont 74 -primo-romanciers, qui publient un roman à cette rentrée 2023. Avec les 145 étrangers, cela fait 466 titres à paraître d'août à octobre, sauf erreur ou omission. C'est un peu moins que l'an dernier, moins surtout qu'en 2020 et 2021. Les séquelles du Covid, l'inflation, l'augmentation des prix des matières premières, dont le papier, le climat international anxiogène, expliquent sans doute cette prudence des éditeurs. Moins de titres égale plus d'espace et de chances pour chacun. Quant à savoir ceux qui survivront et pour quelles raisons, rendez-vous en 2123.

15.09 2023

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