2 janvier > Premier roman France

S’appeler Eddy Bellegueule, ce n’est pas facile à assumer. Surtout quand on est le rejeton d’une famille épouvantable. Dominique et Monique, des ouvriers (quand le père travaillait encore) d’Hellencourt, un village de Picardie où rien n’a changé depuis Zola. Alcoolisme, chômage, misère, violence, racisme.

Edouard Louis- Photo JOHN FOLEY/OPALE

Heureusement, Eddy va à l’école, et il est plutôt bon élève. Mais, à l’école, il subit un autre calvaire. «C’est toi le pédé ?» lui lancent ses condisciples, parce qu’il n’apprécie pas le foot ni les jeux «virils», qu’il affiche des manières efféminées - dès tout petit, il a aimé se travestir -, et qu’il se sent plus à l’aise avec les filles qu’avec les garçons, en dépit de préférences sexuelles dont il se rendra compte assez vite. Deux de ses camarades vont soumettre Eddy à des humiliations, à des violences, à des persécutions, durant plusieurs années. Lui ne résiste pas, ne pleure même pas. Et surtout, garde le silence. Il sait, chez lui, ne pouvoir compter sur aucun appui ni soutien : en dépit de l’espèce d’affection, d’amour qui unit les Bellegueule, le père, ivrogne, scotché à sa télé, ne sait que hurler et cogner, la mère, plus subtile et qui a tout deviné de ce fils pas comme les autres, peine à manifester son indulgence. Elle aussi, elle est «souvent en colère». Et puis son rôle premier est de nourrir tout son monde, souvent avec l’aide des Restos du cœur. Sinon, chez les Bellegueule, «ce soir on mange du lait». Dans la famille, pour faire bonne mesure, il y a aussi un oncle alcoolo et son fils, le cousin délinquant qui se prend pour Mesrine…

Vers l’âge de 10 ans, Eddy vit ses premières expériences sexuelles, dans un hangar, avec ses cousins. Mais tout se sait, à la campagne. Sa mère l’apprend, son père lui flanque une rouste mémorable. Après quoi, Eddy décide : «Aujourd’hui je serai un dur.» Il tente de se «normaliser», s’essaie au football, sort avec deux pauvres filles. Fiascos, bien entendu. A l’adolescence, son corps se révolte : toute sa vie, il n’aimera que les garçons.

En finir avec Eddy Bellegueule est un premier roman à l’évidence autobiographique (à la fin, le héros-narrateur change son prénom en Edouard, puis il intégrera Normale sup) tout à fait exceptionnel. Un cocktail de Zola, de Dickens et de Vallès, revisités par Etienne Chatiliez (celui des «Groseille»). Très cru, parfois insoutenable, mais aussi tragicomique, comme détaché, et jamais manichéen.

Eddy, 22 ans, est devenu Edouard, Bellegueule une grosse tête - étudiant en philosophie et en sociologie à l’ENS, spécialiste de Bourdieu et de Foucault -, et Louis a un sacré talent.

Jean-Claude Perrier

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