Une année de prix unique

La librairie Tropismes, galerie des Princes à Bruxelles. - Photo ANNE-LAURE WALTER/LH

Une année de prix unique

La réglementation du prix du livre en Belgique francophone est passée le 1er janvier 2018 en Wallonie et devrait être mise en place dans les prochaines semaines à Bruxelles. Alors que la détabellisation débute cette année, les acteurs du livre tirent un bilan mitigé.

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Par Anne-Laure Walter,
Créé le 07.02.2019 à 21h00 ,
Mis à jour le 08.02.2019 à 00h00

Si le Syndicat des libraires francophones de Belgique (SLFB) attend la mise en place officielle du prix unique du livre à Bruxelles pour lancer une campagne de communication, dans la mythique librairie Tropismes, une affiche « Parce que le livre n'est pas un produit comme les autres... » sensibilise déjà les clients. « La disparition de la tabelle nous fait un plaisir fou. Nous basculons enfin dans une économie plus juste et équilibrée, même si cela ne nous protège pas d'Amazon », note Brigitte de Meeûs, la propriétaire, qui espère compenser la baisse de revenus par des remises moindres aux collectivités. C'est le cas d'Yves Limauge, qui dirige A livre ouvert et copréside le SLFB : « J'ai récupéré 1,5 % de marge. » Ce prix unique est l'aboutissement d'années de lutte. « Nous avons un public qui nous a suivis dans notre combat, a signé des pétitions. Quand le décret est passé, on a même reçu des fleurs de certains clients ! » raconte Régis Delcourt, de la librairie Point Virgule à Namur.

Mais rares sont les Belges à être si bien informés, et pour la majorité une campagne serait la bienvenue. « Le consommateur est dérouté par la communication faite autour du prix unique du livre et ne sait plus quel est le prix du livre qu'il est censé payer », constate Anne Lardot, directrice des ventes pour Média Diffusion en Belgique. Comme au moment de l'instauration de la loi Lang, les entorses sont nombreuses. D'ailleurs le Pilen, qui réunit six associations professionnelles, s'est vu confier en décembre une mission de contrôle et de communication sur le décret.

Suppression de la tabelle

Ce dernier régule le prix pendant deux ans (un an pour les BD et 6 mois pour les livres millésimés) à dater de la publication. Ainsi les remises autorisées pour les livres parus à partir du 1er janvier 2018 sont de 5 % pour le grand public, 15 % pour les collectivités, et 25 % pour la vente aux écoles de manuels. La tabelle est supprimée progressivement sur trois ans, son taux s'établit à 8 % depuis le 1er janvier 2019. Pour Alda Greoli, la ministre wallonne de la Culture, qui a porté ce décret, « le prix unique, attendu depuis trente-cinq ans, jouera en faveur du maintien d'un nombre élevé et varié de points de vente et d'une offre qualitative et diversifiée ».

Cependant, la suppression de la tabelle pratiquée par Dilibel (Hachette) et Interforum entraîne « une diminution de marge (à la fois pour le distributeur et le détaillant) qui risque encore plus de fragiliser un secteur d'activité, déjà en souffrance », s'inquiète Patrick Verhelpen, directeur commercial d'Interforum Benelux. Patrick Moller, DG de Dilibel, abonde dans ce sens. « Cette suppression est une hérésie. Le prix moyen d'un livre est de 10,75 euros, avec une tabelle autour de 10 %, on gagne un euro. Ce décret va, pour un euro de différence, précipiter beaucoup de libraires dans le mur. » Marc Filipson, P-DG de Filigranes, a fait ses comptes. Sa filiale Le Petit Filigrane, fait 100 000 euros chaque mois avec Dilibel et Interforum. Sa remise est de 40 %, soit 40 000 euros de bénéfice. Avec la fin de la tabelle, le même volume ne fait plus que 85 000 euros, soit 34 000 euros de bénéfice. « La différence de 6 000 euros, c'est le salaire chargé d'un employé », note-t-il.

Créée dans les années 1970 pour faire face aux variations de change, la tabelle a financé les coûts de structures des sociétés importatrices. Hachette et Inferforum vont-ils fermer leurs antennes belges ? Les points de remise vont-ils remonter ? « Aucune décision n'a été prise, on étudie toutes les options, répond Patrick Moller dont les représentants visitent tous les cinq semaines les librairies. Ce service a un prix, et on nous coupe une partie de nos ressources. » Patrick Verhelpen évoque quant à lui « un ensemble d'avantages, de services de proximité, que nous ne pourrons plus nécessairement garantir demain. Toute la chaîne s'en trouvera fragilisée, et au premier rang les libraires. »

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