Festival du livre de Paris

Editorial : "De part et d'autre de la montagne"

Paolo Cognetti, prix Médicis du roman étranger en 2017 pour son livre Les huit montagnes (Stock). - Photo Olivier Dion

Editorial : "De part et d'autre de la montagne"

Né à Milan en 1978, Paolo Cognetti s'essaie aux mathématiques avant d'opter pour l'école de cinéma Luchino Visconti. Après plusieurs documentaires, des excursions régulières à New York de 2003 à 2013 (Carnets de New York, Stock, 2020), l'écrivain connaît le succès avec Les Huit Montagnes (Stock, prix Strega, Médicis étranger en 2017, prix François Sommer 2018), vendu à plus d'un million d'exemplaires dans 40 pays. Avant ça, à 30 ans, il a fui la ville pour partir en quête de solitude dans la vallée d'Aoste (Le Garçon sauvage : carnet de montagne, Zoé, 2016). Nouvelliste, voyageur, l'écrivain « de montagne » publie en 2019 Sans jamais atteindre le sommet. Voyage dans l'Himalaya (Stock). Il nous signe cet éditorial à l'occasion du lancement du Festival du livre de Paris 2023. 

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Par Paolo Cognetti, écrivain*,
Créé le 19.04.2023 à 17h34 ,
Mis à jour le 20.04.2023 à 10h33

Je vis dans une petite région alpine à la frontière entre l'Italie et la France. Cette frontière est si confuse que dans la vallée d'Aoste nous parlons les deux langues. Toutes les guerres entre les deux pays sont en quelque sorte passées par ici : Jules César a remonté cette vallée et Napoléon l'a descendue, et dans le silence de nos montagnes nous trouvons encore la route romaine, les tranchées défensives des Austro-Hongrois, les forts militaires détruits par les Français, les traces laissées par les armées. La dernière a été une armée italienne dont faisait partie l'un de mes mentors, Mario Rigoni Stern, qui participa à l'invasion de la France en juin 1940. Mario franchit la frontière par le col du Petit-Saint-Bernard et, peu après, il entra dans une cabane abandonnée. Les montagnards avaient fui précipitamment, laissant derrière eux vêtements, vaisselle et même la polenta qui avait refroidi dans le chaudron. À l'intérieur, pour la première fois, Mario se rendit compte que l'ennemi portait les mêmes haillons et mangeait la même polenta, que de part et d'autre de la montagne, les hommes vivaient de la même manière, et il eut honte d'avoir violé l'intimité de cette maison. Plus tard, en cinq longues années d'armée, il apprendrait également que l'ennemi était ailleurs, non pas dans les pâturages et les cabanes de montagne, mais dans les lieux de richesse et de pouvoir.

Cette guerre entre l'Italie et la France fut, fort heureusement, la dernière. Qu'il n'en survienne jamais une autre. Mais aujourd'hui, alors que les Italiens et les Français se considèrent comme des amis et, leurs fusils déposés, célèbrent leur amitié avec des livres, je ne peux m'empêcher de penser à deux autres peuples en guerre, les Russes et les Ukrainiens. Pays de steppes, de rivières, de bouleaux et de champs de blé, terres célébrées par les grands poètes, comme nos montagnes. Je voudrais que depuis ce festival, un message de paix atteigne ces terres martyrisées. Les livres sont les plus puissants instruments de paix : regardez ce qui arrive à nos deux peuples qui se tiraient autrefois dessus. Lisons-les pour nous rappeler, comme l'écrivait Rigoni Stern, qu'après tant de guerres, « dans le monde, nous sommes tous des villageois ».

 

 

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