Chacun se souvient de cette campagne d’affiches contre le tabac, proposée en février 2010 par l’association Les droits des non fumeurs, mettant en scène des jeunes gens semblant pratiquer une fellation tout en suçotant une cigarette. Il faut bien reconnaître que le rapport entre fumer une cigarette et faire une fellation paraît à première vue un peu ténébreux. Même en y regardant à deux fois, le lien semble toujours aussi amphigourique, quand bien même l’auteur de cette fellation serait un adolescent au regard candide et son bénéficiaire un adulte ventripotent. Le slogan, censé éclairer sur le message porté par la photo, n’éclairait pas davantage. En quoi pratiquer une fellation relève-t-il d’un quelconque asservissement ? Si un acte sexuel, quel qu’il soit, s’accomplit sans contrainte, il ne peut être question de servitude. Quoi qu’il en soit, les protestations ont immédiatement fusé. L’inénarrable Nadine Morano, alors secrétaire d’État chargée de la Famille et de la Solidarité auprès du ministre du Travail, fut la première à demander l’interdiction des affiches «  au titre de l’outrage public à la pudeur  ». Le procédé consistant à assimiler le tabagisme à un acte sexuel forcé «  me semble intolérable , expliquait-elle. On peut choquer sur le tabac, cela ne me dérange pas, mais il y a d’autres campagnes à faire que cela. Il y a d’autres moyens pour expliquer aux jeunes que la cigarette rend dépendant, au moment où on lutte contre la pédo-pornographie.  » Du côté de la défense, le jargon des communicants responsables de la campagne au sein de l’agence BDDP ne fut pas davantage convaincant : «  Quand on fume, on se soumet, ni plus ni moins. Une soumission que nous avons décidée de montrer sous la forme sexuelle, pour qu’elle parle aux jeunes, qu’elle les interpelle. L’homme au costume, il représente toute cette autorité qui crée la soumission.  » Plus amusant, on retiendra la réaction cinglante d’Antoinette Fouque, éditrice, intellectuelle et militante pour l’émancipation des femmes qui s’interrogeait elle aussi sur le sens de cette campagne : «  À ma connaissance, pratiquer une fellation ne provoque pas le cancer  ». D’autres figures du féminisme parlèrent de sexisme inadmissible, de scandale, de dérive, d’association choquante… Bref, la réprobation fut quasiment unanime. Pour finir, le Tribunal de grande instance de Nanterre s’est lui aussi intéressé à cette campagne. Saisi par la mère de la jeune fille mise en scène, il a rendu une décision, en date du 10 novembre 2011, condamnant BDDP. La génitrice avait donné une autorisation par courriel pour l’utilisation de l‘image de sa fille, alors mineure. Mais la maquette qui lui avait été adressée différait nettement du résultat final : «  L’absence de proximité immédiate du visage de la jeune fille du sexe de l’homme, son regard bas et la position plus paternaliste de la main de cet homme sur sa tête ne donnaient pas à la maquette une connotation nécessairement sexuelle  ». C’est ainsi que l’autorisation a été considérée comme inopérante. Il existe déjà des jurisprudences similaires. Car il est aisé de dénaturer le sens d’une image en en grossissant certains détails, en en isolant une partie, en la légendant de façon inappropriée, etc. Toutes ces manipulations peuvent être poursuivies en sus de la simple violation du droit à l’image. « L'affaire Estelle Halliday » a sévèrement sanctionné des photomontages diffusés sur internet et représentant cette personnalité mise à nue. De même, à propos de l’actrice Vanessa Demouy, il a été jugé que : « le photomontage incriminé présentant un caractère obscène et outrageant, ridiculisant et déconsidérant la comédienne et la faute commise ne peut être excusée par le genre satirique et corrosif de la publication ». Il en est de même des montages photographiques qui réunissent artificiellement ou rapprochent des personnalités. De même, le fait d’isoler des images peut aussi être sanctionné. L’affaire Juliette Binoche, jugée le 11 mai 1998, est à cet égard éloquente : « L'actrice est également fondée à se plaindre d'une atteinte à son droit moral d'artiste-interprète (...) dès lors que la publication litigieuse ne peut pas être considérée comme la simple reproduction des scènes les plus représentatives d'un film dont le réalisateur lui-même avait insisté sur le caractère "érotique et dérangeant" et qui auraient servi à sa promotion, alors que les clichés sont d'une qualité très médiocre et que les extraits sélectionnés, comme les termes employés dans le commentaire qui les accompagne, réduisent l'interprétation de l'actrice à une participation à une scène pornographique et constituent une dénaturation grave et délibérée tant de son rôle que de sa prestation ». Enfin, une juridiction a précisé que : « La reproduction non autorisée de la photographie d’une actrice, même prise à l’occasion d’une représentation théâtrale publique, constitue une faute au regard de l’article 1382 du Code civil et de l’article L. 212-3 qui protège les droits de l’artiste-interprète (…). La photographie, sortie de son contexte, accompagnée d’une légende dévalorisante, constitue une atteinte au droit moral de l’artiste-interprète ». Voilà les éditeurs prévenus : la nécessaire autorisation est une chose. L’exploitation de l’image en est une autre.
15.10 2013

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