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Une sacrée traîtrise

Judas Iscariote (à droite), se retirant de la dernière Cène par Carl Bloch à la fin du XIXe siècle. - Photo Carl Bloch/Domaine Public

Une sacrée traîtrise

Peter Stanford consacre à Judas une enquête biographique passionnante, qui rompt avec bien des clichés.

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Par Laurent Lemire,
avec Créé le 11.03.2016 à 01h00

De lui, on ne sait rien parce qu’on croit en savoir déjà trop. Il est le traître par excellence, le parjure éternel, "le nom le plus détesté de l’histoire humaine" selon Bob Dylan. Mais qui fut véritablement ce personnage qui n’a laissé presque aucune trace historique tout en étant universellement connu ? Peter Stanford a relevé le défi de cette enquête impossible à la Borges. Il est vrai qu’étant déjà l’auteur d’une biographie du diable non traduite en français, ce journaliste britannique pouvait se lancer en quête de celui qui fut présenté par Luther comme l’un de ses plus efficaces serviteurs.

Ce spécialiste de la religion, ancien rédacteur en chef du magazine The Catholic Herald, commence par s’interroger sur la réalité de Judas Iscariote. Ne serait-il pas un personnage fictif destiné à servir de bouc émissaire ? "Le Judas des Evangiles me paraît trop incohérent pour qu’il puisse s’agir d’un simple procédé littéraire." Le fait étant établi, Peter Stanford prend donc son sujet en filature comme Sherlock Holmes. Il interroge les textes bibliques et leurs commentateurs, sollicite les romanciers, les poètes et les cinéastes, sonde les historiens et les essayistes sur cette figure du juif qui est aux sources de l’antisémitisme chrétien.

Matthieu, le seul des évangélistes à décrire la mort du renégat, raconte que Judas se serait pendu après avoir vendu son maître pour trente deniers. La tradition parle d’une arche de pierre. Qu’à cela ne tienne, Peter Stanford se rend à Jérusalem, au monastère de Saint-Onuphre, à Akeldama, le "Domaine du sang" acheté par Judas après son forfait sur lequel il aurait été foudroyé par la colère divine selon une autre version.

L’itinéraire de Judas est un labyrinthe. Mais ce mystère cache une évidence, c’est pourquoi il a connu une certaine postérité chez les gnostiques. Durant les premiers siècles de formation du christianisme, parmi les évangiles restés apocryphes, il y eut celui de Judas révélé en 2006. Peter Stanford le décrit fort bien tout en expliquant qu’il n’apporte aucun élément biographique nouveau.

Histoire, archéologie, arts et sciences sont mis à contribution pour ce passionnant travail sur les représentations et les réappropriations politiques et culturelles de la figure la plus contestée de la Bible. Entre les chapitres, le journaliste a judicieusement disséminé un abécédaire tout à fait étonnant sur ce lourd héritage.

La tombe de Judas serait quelque part à Jérusalem, à l’écart de la Vieille Ville, dans un endroit sordide que l’Ancien Testament nomme Géhenne, au milieu des détritus… Cela fait deux millénaires qu’il porte son image de scélérat suprême. Mais dans cette enquête qui vous tient en haleine par son érudition, Peter Stanford parvient à sortir Judas des brumes de l’histoire en montrant que le personnage parle autant aux traîtres qu’aux trahis. Et de rappeler qu’après le baiser de Judas dans le jardin de Gethsémani, les onze autres apôtres prirent la fuite en laissant Jésus aux mains des soldats.

Laurent Lemire

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