Certains libraires ont fait savoir qu'ils ne vendraient plus le livre de Richard Millet parce qu'ils désapprouvaient son contenu. Et ils ont même renvoyé à l'éditeur tous les exemplaires dont ils disposaient. Le fait est assez rare, pour ne pas dire rarissime, pour qu'on se penche sur sa dimension juridique. Le refus de vente n'est plus aussi sévèrement sanctionné qu'auparavant. Il ne s'agit plus, en tant que tel, d'un délit depuis 1986, une ordonnance ayant abrogé les dispositions pénales.  Toutefois, le refus de vente est visé à l'article L. 122-1 du Code de la consommation. Le principe de l'illégalité du refus de vente perdure en effet pour ce qui concerne les relations entre professionnels et consommateurs. Bien évidemment, le refus de vente à un consommateur insolvable est permis. Il en est de même si le produit ou la demande est anormal. Ce serait par exemple le cas de demandes très nombreuses d'un livre gênant, qui émaneraient du même acheteur, cherchant, comme cela s'est déjà vu pour des livres très politiques, à «  assécher le marché  ». En revanche, le refus de vente reposant sur une discrimination (par exemple, en raison du sexe de l'acheteur, de sa race, etc.) est particulièrement réprimé. Par ailleurs, un commerçant a été condamné, en 1985, par le tribunal correctionnel de Mâcon, pour avoir refusé de vendre un produit exposé en vitrine, car il ne souhaitait pas désorganiser celle-ci... Mais les libraires qui refuseraient de vendre tel ou tel livre dont ils disposent, en raison, par exemple, de la personnalité de l'auteur ou de l'immoralité de son propos, sont susceptibles d'être attaqués sur ce seul fondement éminemment « subjectif ». Toutefois, il a déjà été jugé, par le Tribunal de Paris, en 1980, qu'il ne peut pas être reproché à un libraire de ne pas vendre un livre qu'il n'a pas en stock. Les libraires ayant renvoyé leurs exemplaires du livre de Richard Millet pourraient donc échapper à une condamnation. Par ailleurs, il n'y a que dans les cas où la vente est elle-même réglementée - par exemple, si le livre est interdit de vente aux mineurs en application de la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse -, que le refus de vente d'un livre en stock (mais mis hors de portée des clients) est légitime. Un tel raisonnement pourrait s'avérer applicable à l'ouvrage de Richard Millet si celui-ci était, par exemple, poursuivi pour incitation à la haine raciale. Comme nous l'avons rappelé dans un précédent billet (voir Le livre au service du racisme ), dès lors que l'ouvrage serait poursuivi, voire reconnu comme condamnable par un tribunal, les libraires, s'ils poursuivaient sa commercialisation, seraient susceptibles d'être poursuivis à leur tour. Signalons par ailleurs que depuis la loi du 1 er juillet 1996, le refus de vente entre professionnels n'est plus prohibé. Cela ne signifie pas pour autant la possibilité de refuser librement une vente ou une prestation de services. Il est ainsi toujours possible d'agir en justice en invoquant la responsabilité civile classique, par exemple, à la suite d'un changement brusque des modalités de paiement. Il en est de même s'il y a entente illicite ou abus de position dominante. De même, l'ordonnance du 1er décembre 1986 fustige la «  rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées » ; cette pratique n'étant répréhensible que dans des cas d'abus liés à une dépendance économique, «  dans lesquels se trouve une entreprise cliente qui ne dispose pas de solutions équivalentes  ».
15.10 2013

Les dernières
actualités