L’avocat en vacances se délecte… de Courtroom novels , autrement dit de romans dont le héros est avocat — ou juge ; un peu comme ces médecins qui, lors d’un dîner en ville, croient se distraire en assommant leurs conjoints d’anecdotes sur la profession. Il faut dire que la fin 2010 nous offre une compétition relevée : à ma droite, John Grisham et The Confesssion , à ma gauche Michael Connelly et The Reverseal. Grisham, ancien membre du barreau du Mississippi et entré dans la carrière littéraire avec La Firme , a tant usé la corde (de pendaison) qu’il alterne désormais roman judiciaire et récits soporifiques sur le Middle-West. Bref, aucune surprise à attendre de son nouveau page-turner consacré à un innocent sur le point d’être exécuté. Connelly, en revanche, a su évoluer et faire de Harry Bosch, son célèbre flic de LAPD (la police de Los Angeles), un personnage secondaire qui assiste un avocat en passe de devenir récurrent. Pas d’effet stylistique novateur, mais une intelligence des personnages parfaitement huilée. Verdict ?   Connelly, sans même avoir besoin de songer à un procès en appel. En lot de consolation — et pour ceux qui ne lisent pas l’anglais de tête de gondole —, achetez le dernier Peter Tremayne (10/18) avec Sœur Fidelma en juge/enquêtrice tellement intègre qu’elle ferait tache dans un palais de justice contemporain. Ce qui peut inciter à lire ces trois opus entre Noël et le Nouvel an ? La vogue grandissante avec laquelle la culture s’empare des univers judiciaires et pénitentiaires, et se passionne pour la théâtralité du droit. Que ce soit au cinéma, à la télévision ou dans l’édition, bon nombre des œuvres qui voient ainsi le jour sont créées par de très bons observateurs des milieux concernés, voire par d’anciens professionnels du droit. La véracité l’y emporte souvent sur l’imagination, et participe donc d’autant mieux d’une diffusion du savoir juridique. Le paradoxe est d’ailleurs saisissant : il est toujours interdit, dans la majorité des États, de filmer les procès, de les photographier ou encore de les enregistrer. D’où sans doute la fascination pour la transposition sous forme de fiction audiovisuelle de ce monde à la une des journaux télévisés… dont les caméras s’arrêtent à l’entrée des salles d’audience. Certes, quelques exceptions existent : de nombreux États américains autorisent la présence des reporters audiovisuels au sein des prétoires, le paroxysme étant atteint avec la chaîne très spécialisée « Court Channel ». En France, la règle n’est assouplie que dans des cas exceptionnels : les procès pour crimes contre l’Humanité (Barbie, Touvier et Papon) peuvent être enregistrés et diffusés. Quant au « succès » d’audience ( ! ), en 2006, de la commission parlementaire constituée après les « procès d’Outreau », il est révélateur de ce besoin d’images sur un monde clos, soupçonné de tous les travers. Le cinéma l’a bien compris, mettant au premier plan la dramaturgie du dossier criminel. Douze hommes en colère en constitue sans doute le modèle du genre. Mais la liste est infinie, comprenant notamment Le Mystère Von Bulow , Les Accusés , Le Procès Paradine, Minuit dans le jardin du Bien et du Mal ou À double tranchant. La télévision a fini par prendre le relais, à force de séries américaines et françaises. Celles-ci permettent d’allier tous les ingrédients, de l’enquête policière à la case prison, en passant, saison après saison, par les rivalités entre gens de métier, effets de manche, réparties cinglantes et coups de… théâtre  : les ancêtres Perry Mason et Matlock ont été rattrapés par La Loi de Los Angeles , puis Ally Mac Beal , Avocats et associés, Femmes de loi , New York Police judiciaire , Tribunal central et autres Madame le Juge . Le théâtre a, curieusement, peu pioché dans un univers qui lui ressemble tant. Son histoire récente permet toutefois de relever des initiatives plus originales que la énième mise en scène des Plaideurs de Racine : Eric Vigner a ainsi transposé le procès Brancusi contre États-Unis, s’emparant au passage de cette question intellectualo-judiciaire : qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? Justement : les arts plastiques s’emparent encore plus rarement du droit. Les personnages de Daumier mis à part, ne restent que des apparitions ou des clins d’œil, sous forme du portrait d’un criminel, d’une performance sur l’illégalité signée Alberto Sorbelli ou d’un Ben couvrant sa toile d’un retentissant « Pièce à conviction ». Après l’écran, grand ou petit, le livre constitue sans doute l’autre terreau privilégié de l’interaction entre le droit et la muse. Et ce d’autant plus qu’il est arrivé à des ouvrages de librairie de susciter de véritables débats ayant parfois abouti à des changements législatifs. Certains remontent à Balzac. D’autres, plus récents, sont à chercher du côté de Suicide mode d’emploi (aboutissant à la création du délit de provocation au suicide) ou de Médecin-chef à la Santé .   La fiction sert à fustiger l’ordre établi ou l’absurdité du système : Le Procès en constitue l’apogée. La dénonciation sociale est aussi souvent au rendez-vous. Le faits divers et ses ressorts ont alimenté nombre de chefs d’œuvre et de grands livres : Gide et Mauriac ont livré leurs souvenirs de cour d’assises, Henri Béraud et André Salmon ont joué aux chroniqueurs judiciaire en suivant l’affaire Landru. Plus près de nous, Truman Capote ou Emmanuel Carrère se sont adonnés avec brio à l’exercice. Le procès imaginé peut aussi servir de cadre, de Dostoïevski à Mathieu Lindon (de retour en librairie en janvier), qui pour son roman intitulé Le Procès de Jean-Marie Le Pen a écopé… d’un procès de Jean-Marie Le Pen. Mais le règne commercial du droit en littérature se trouve plus particulièrement dans cette forme de roman policier que cultivent Grisham et Connelly. Ils incarnent cette nouvelle catégorie de best-sellers, née avec le thriller, qui use de la justesse des termes, de la procédure, des répliques, pour créer une alchimie de vérité. Plusieurs autres auteurs leur ont emboîté le pas (Scott Turow, Steve Martini…), au point que le genre est désormais labellisé Courtroom novel . Cette profusion de théâtre judiciaire américain sur les écrans et dans les librairies bouscule le vocabulaire utilisé par les profanes. Ceux-ci voudraient que les « Objection » fusent de toutes parts lors de leur divorce et donnent du « Votre Honneur » au président agacé. Une de mes amies, magistrate belge, aime à raconter que plusieurs de ses justiciables se sont adressés à elle en commençant par «  Mon Honneur, je voudrais dire…  »  

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