Essai/France 9 mai Olivier Haralambon

Noli me tangere, « ne me touche pas ». Ce sont les mots que prononce le Christ à Marie-Madeleine lorsqu'elle le reconnaît dans le jardin après sa résurrection. Plus précisément, « ne me retiens pas ». L'épisode est un motif familier de la peinture religieuse. Titien, notamment, figura cette scène, pour ainsi dire, de frustration, et partant, de désir, où l'apôtre au féminin tente de s'accrocher à la tunique de Jésus revenu à la vie. Fugace passage d'un corps pleinement incarné, dans sa musculature puissante, la chaleur de son énergie de vivant, et pfft... évanouissement au loin. Le fan du tour de France sur le bord de la route partage avec Marie-Madeleine la même impression. Ainsi le dépeint Olivier Haralambon dans l'un de ses douze récits de cyclisme, « Mes courses imaginaires ».

On n'est d'ailleurs pas toujours en selle, et le vélo chez l'auteur du Coureur et son ombre (Premier parallèle, 2017) ne grimpe pas tant les bosses qu'il n'active la roue des souvenirs, fait tournoyer la ronde des pensées : « Quand il pédale, il souffre, ses jambes et sa poitrine brûlent, sa peau ici et là est douloureusement mordue, prise en tenaille par la double matérialité de la vie et des choses. » Qui a pédalé goûte la langue de cet intime du cycle, au plus proche de la sensation éprouvée par le cycliste. L'adolescent dans « Cheville ouvrière » sait que le vélo ce n'est ni la course à pied ni la gymnastique, rien de show off, rien a priori de spectaculaire - dans le vestiaire de l'école, il ne déteste rien de plus que « la loi des butors et des pue-la-pisse », - tout est dans la persévérance et la durée, le vélo tient du « puritanisme ouvrier », austérité des humbles héritée de son père et de son grand-père si pauvre qu'il servait à ses enfants des ragoûts d'escargot.

Derrière l'admiration qu'on porte aux champions, les Coppi, les Anquetil, les Bobet, c'est tout un monde disparu, ou en voie de disparaître, et l'on sent chez l'écrivain, philosophe et ancien coureur peut-être quelque nostalgie anticipée. Le bistro, les pelotons, cette France rurale du Tour ou des courses amateurs, ces histoires de la petite reine, c'est la mémoire des Trente Glorieuses, ou de ses promesses dont on avait encore l'espoir qu'elles se concrétiseraient, avant la crise, l'ascenseur social bloqué...C'est parfois un vélo sans sa roue avant, remisé, invalide, quand on a vieilli, trop grossi, ce vieux vélo dont on « parcourt du doigt les contours » comme un rêve de liberté enfui. Olivier Haralambon signe des portraits-essais sur le vélo au-delà du vélo, vélo comme façon d'être et d'exister : pédaler pour rester debout.

Olivier Haralambon
Mes coureurs imaginaires
Premier Parallèle
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 16 euros ; 160 p.
ISBN: 9782850610011

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