Librairie

Ventes : un été militant

Patrick Bousquet, de la librairie Nordest, à Paris, avec quelques-unes de ses bonnes ventes de l’été : Demain j’arrête ! de Gilles Legardinier (Pocket), Sombre dimanche d’Alice Zeniter (Albin Michel), Le garçon incassable de Florence Seyvos (L’Olivier), Le linguiste était presque parfait de David Carkeet (Monsieur Toussaint Louverture), Noces de neige de Gaëlle Josse (Autrement). - Photo Olivier Dion

Ventes : un été militant

Les libraires redoutaient un été morose. Beaucoup ont été agréablement surpris par leurs performances et surtout par le soutien que leurs clients leur ont manifesté. Du coup, ils abordent la rentrée avec une belle énergie.

J’achète l’article 1.5 €

Par Clarisse Normand,
Créé le 17.10.2013 à 18h49 ,
Mis à jour le 09.04.2014 à 17h41

Est-ce un effet du retour en force du soleil dont on sait qu’il est bon pour le moral ? Ou des annonces et des promesses faites lors des Rencontres nationales de la libraire à Bordeaux ? Cet été, les libraires indépendants ont retrouvé des motifs d’optimisme. Face à l’écroulement des chaînes et aux dénonciations du comportement économique et social du leader des ventes en ligne, ils veulent croire à un retour durable des lecteurs dans leur magasin. A Toulouse, qui a vu disparaître Castela et Virgin et a failli perdre son magasin Chapitre, qui sera finalement repris par un libraire indépendant - Benoît Bougerol de La Maison du livre à Rodez -, Hervé Floury (Floury) observe une modification du comportement de ses clients. « J’ai le sentiment que les lecteurs prennent à la fois conscience de ce que leur offrent les libraires et des risques qu’il y a à les voir un jour disparaître. Du coup, on sent de leur part un engagement et un militantisme accru à notre égard. »

Même perception pour Valérie Broutin, à la tête de L’Horizon, qui est en passe de devenir la seule librairie de Boulogne-sur-Mer avec la fermeture programmée de Chapitre. « Au-delà de l’affaiblissement de la concurrence, j’ai l’impression que le travail effectué depuis dix ans à mon niveau finit par payer. En plus, comme j’ai eu les honneurs de la presse locale, j’ai vu arriver de nouvelles personnes qui ont découvert le magasin. »

A Strasbourg, Sylvie Barnabé (Quai des brumes) perçoit elle aussi le désir de revenir vers des lieux de convivialité et d’échanges. De manière plus terre à terre, elle ne cache d’ailleurs pas avoir bénéficié d’un report de clientèle vers son magasin après la fermeture de Virgin en juin. « Alors que l’on aurait pu penser que l’ancienne clientèle de l’enseigne se tourne surtout vers la Fnac et Kleber, on observe finalement qu’elle s’est disséminée un peu partout. »

 

 

« Je ne néglige personne »

A Paris, dans le 10e arrondissement, Patrick Bousquet (Nordest) reconnaît lui aussi avoir enregistré une forte hausse de son activité après la fermeture de son voisin, Virgin Barbès. «Alors que notre chiffre d’affaires était plus ou moins stable depuis plusieurs années, il a bondi de 20 % en juillet et de 15 % en août. » Prudent, le libraire estime toutefois que l’essai demande à être confirmé. Il entend d’ailleurs adapter son offre pour répondre à une partie des demandes des anciens clients de Virgin (voir p. 17). « Je ne vais pas transformer l’esprit de ma librairie mais je ne néglige personne », explique-t-il avec pragmatisme.

 

A Bordeaux, où Virgin a aussi disparu, Mollat a profité de l’arrivée d’une nouvelle clientèle qui se caractérise par « un fort intérêt pour le poche et l’actualité… et par le fait qu’elle ne pose aucune question en magasin », observe Denis Mollat. Désirant capter de manière durable une partie des anciens clients de Virgin, l’établissement bordelais n’a pas hésité à développer une nouvelle offre de CD et DVD. Résultat, son chiffre d’affaires a progressé de 4 % en juillet et de 7 % en août. Mais, comme le précise Emmanuelle Robillard, directrice projets et qualité, ces progressions sont aussi le reflet du dynamisme de la librairie qui joue volontiers la carte du service et de l’animation (tant en magasin que sur son site Internet). La remarque vaut d’ailleurs pour beaucoup d’autres de ses confrères.

 

 

Vacanciers.

A Marseille, en plus de la disparition du Virgin, les librairies ont pu bénéficier de l’afflux de visiteurs dans la cité phocéenne désignée pour 2013 Capitale européenne de la culture. Plusieurs d’entre elles ont d’ailleurs bien tiré parti de ce contexte. Ainsi, Damien Bouticourt (Maupetit) annonce une croissance de 17 % en juillet et de 10 % depuis le début de l’année. Dans une ambiance plus calme, à Saint-Pol-de-Léon, Delphine Leborgne (Livres in room) se dit elle aussi satisfaite de son été, heureuse de constater que le soleil n’a pas fait fuir les clients : « Il y a simplement eu un décalage de l’activité sur le matin ou la fin de journée. » A Bergerac, Coline Hugel (La Colline aux livres) annonce une croissance de 15 % sur l’activité de juillet, « qui avait déjà été bonne l’an dernier », et une poursuite des performances en août. Forte d’une clientèle de fidèles parmi les vacanciers revenant chaque année dans la région, elle apprécie tout particulièrement cette période car «les demandes sont souvent plus pointues et intéressantes que celles que l’on a le reste de l’année ».

 

Prolongeant cette observation, Denis Mollat constate lui aussi que pendant l’été «le fonds est très sollicité ». A l’inverse, au sein du réseau Maison de la presse, René Faussereau, responsable des relations avec les éditeurs, évoque une tendance à la concentration des ventes sur les best-sellers… précisant dans la foulée que l’été qui s’achève n’a pas été fabuleux, sans être non plus catastrophique (+ 0,4 % en juillet). Quoi qu’il en soit du contenu des livres, cet été, plus encore que d’habitude, le poche est unanimement désigné comme le grand gagnant.

Il reste que le paysage de la librairie est devenu particulièrement contrasté. Et la période estivale n’a pas fait exception. Les libraires confiants et heureux ne doivent pas cacher les nombreux magasins en difficulté. Ainsi de La Belle Aventure à Poitiers, de Rimbaud à Charleville-Mézières, de Demey dans le nord de la France, mais aussi de nombreuses librairies de second niveau. En témoigne, tout récemment encore, la fermeture de Résonances à Avion (voir p. 55).

Sur le plan national, selon notre baromètre Livres Hebdo/I+C (voir p. 47), l’activité tous circuits confondus affiche une baisse de 1 % par rapport à juillet 2012, malgré deux jours ouvrés en plus, dont un samedi. Avec davantage de recul, Bouchaïb Moudakir, directeur de Prisme, confirme la tendance de l’année, avec, en cumulé depuis janvier, une baisse de 2 % sur les flux à l’aller et une hausse de 5 % au retour.

Avec une activité stable par rapport à l’année dernière, les libraires de premier niveau sont ceux qui s’en sortent le mieux, comme cela avait déjà été le cas en juin. Les hypermarchés ont ainsi continué en juillet à voir leurs ventes reculer (- 4 % en juillet selon Livres Hebdo/I+C), tandis que les grandes surfaces culturelles, avec la disparition de Virgin, plongeaient de 6 %.

 

 

Selon les enseignes.

Mais, selon les enseignes, les écarts sont importants. Chez Cultura, Eric Lafraise, chef du produit livres, évoque « un été particulièrement réussi avec de bonnes performances dans l’ensemble des magasins ». A la Fnac, le ton est en revanche moins enthousiaste. Laurence Deschamps, chef de produit littérature, parle simplement « de bonne résistance ». « Outre le dynamisme de notre top des ventes, nous avons continué à progresser fortement sur les cahiers de vacances où nous gagnons des parts de marché. En quelques années, la Fnac est d’ailleurs devenue un lieu de destination pour le parascolaire et le scolaire, sur lequel nous nous sommes lancés avec un service de commandes sur Internet. »

 

Matthieu de Montchalin (président du Syndicat de la librairie française et patron de L’Armitière à Rouen) voit dans ces situations contrastées la confirmation que la librairie indépendante, maillon faible du secteur sur le plan financier, en est en revanche le maillon fort sur un plan commercial, « ce qui ne peut que conforter nos partenaires dans leur volonté annoncée de nous aider. Je peux vous dire en tout cas que le SLF sera attentif à ce que les promesses faites aux Rencontres de Bordeaux soient tenues au cours des mois qui vont suivre ».
C. N.

Cinq titres qui n’ont pas pris de vacances

Premiers romans : les libraires les aiment, les lecteurs aussi

Alors que la rentrée 2013 fait la part belle aux premiers romans, avec 86 nouveautés contre 69 en 2012, I+C a interrogé pour Livres Hebdo les libraires sur la façon dont ils travaillent ce type d’ouvrages. Si 23 % des personnes interviewées (tous circuits confondus) ne font aucune mise en avant particulière, ce sont les librairies de premier niveau qui proposent l’offre la plus étendue en ce domaine et qui la valorisent aussi le plus, en lui consacrant tables et vitrines (69 %) ou bien en utilisant une signalisation particulière (44 %). En revanche, très peu (3 %) communiquent spécifiquement sur ces titres dans un bulletin d’informations ou sur Internet. Quel que soit le mode de valorisation choisi, il s’agit avant tout, pour eux, de répondre aux envies de découvertes des clients, et en particulier des gros lecteurs, voire de les susciter.

Tous circuits confondus, 56 % des libraires perçoivent en effet un certain intérêt de la part de leurs clients vis-à-vis des premiers romans… cet intérêt étant spécialement perceptible dans les clubs. En regard, les professionnels, qui estiment exposer plus de premiers romans que par le passé, effectuent leurs choix différemment. Alors que les chaînes et les clubs s’appuient beaucoup sur les échanges avec les représentants, les libraires indépendants jugent sur pièce : après lecture. En tout cas, tous ou presque (en l’occurrence 88 % d’entre eux) s’accordent pour juger satisfaisant le niveau d’information fourni par les éditeurs. < C. N.

Les atouts de l’automne

 

Forts d’un été plutôt satisfaisant, les libraires débordent d’énergie et d’idées.

 

Librairie Nordest, Paris.- Photo OLIVIER DION

Les libraires ont repris du poil de la bête et envisagent l’automne avec sérénité. Certes, ceux qui vendent des livres scolaires doivent faire face à une baisse d’activité dans ce rayon pénalisé par l’absence de nouveaux programmes. Mais pour le reste, et en particulier pour la littérature, la confiance est de mise. Saluant la politique malthusienne des éditeurs, avec la sortie de 555 romans entre août et octobre (contre 646 sur la même période l’an dernier et 701 en 2010), ils n’en apprécient que davantage la qualité. D’autant qu’aucun livre ne vient écraser les autres. Le phénomène est particulièrement marquant dans le domaine français. « Nous pouvons ainsi jouer pleinement notre rôle de guide et de conseiller auprès des clients, observe Coline Hugel de La Colline aux livres à Bergerac. C’est très motivant pour nouscar nous pouvons défendre des titres de qualité écrits par des auteurs peu connus. Et cette année, je trouve qu’il y en a beaucoup. »

 

 

Les titres qu’ils aiment.

A côté des quelques grosses sorties à paraître en octobre et novembre, comme Billie d’Anna Gavlada, L’appel du coucou de Robert Galbraith - pseudonyme de l’auteur jeunesse J. K. Rowling - ou, dans d’autres registres, Astérix chez les Pictes et Le guide Hachette des vins , les libraires comptent aussi largement sur leurs coups de cœur pour assurer leurs ventes du second semestre. Beaucoup l’assurent chez les indépendants : le gros de leur chiffre d’affaires est d’abord réalisé avec les titres qu’ils aiment et qu’ils poussent auprès des clients. Isabelle Leclerc annonce ainsi avoir vendu en l’espace de trois jours dix exemplaires de Dans la maison de l’autre de Rhidian Brook (Fleuve noir). «Je n’aurai pas parié dessus si je ne l’avais pas lu… mais c’est d’ores et déjà un de nos coups de cœur », explique-t-elle.

 

De manière plus attendue, les libraires, qui ont mis l’été à profit pour lire, comptent beaucoup sur le dernier roman de Véronique Ovaldé, La des brigands, apprécié par beaucoup d’entre eux, dont Christelle Dierickx. A la tête du 5e Art à Saint-Jean-de-Luz, celle-ci a déjà dû lancer un « réassort direct » pour ne pas se retrouver en rupture de stock. Mais beaucoup comptent aussi sur Le quatrième mur de Sorj Chalandon, L’invention de nos vies de Karine Tuil, Les anges meurent de nos blessures de Yasmina Khadra ou encore Une part de ciel de Claudie Gallay.

Ayant le sentiment que la rentrée s’annonce plus forte du côté étranger que français, Laurence Deschamps, chef de produit littérature à la Fnac, compte volontiers sur Cinq jours de Douglas Kennedy, L’écorchée de Donato Carrisi, L’esprit d’hiver de Laura Kasischke, et bien sûr L’appel du coucou.

Du côté des indépendants, c’est Transatlantic de Colum McCann et Canada de Richard Ford qui semblent concentrer les espoirs. Sans oublier Cantique des plaines de Nancy Huston. Tirant les conséquences de la fermeture du Virgin de Barbès, son ex-voisin, Patrick Bousquet reconnaît avoir davantage ouvert ses portes à des titres plus grand public. « Nous ajustons notre offre mais nous ne modifions pas notre identité, tempère-t-il toutefois. Ainsi, nous avons pris 6 exemplaires du dernier d’Ormesson, au lieu d’un seul habituellement. De même, nous allons, plus que d’habitude, mettre le paquet sur Astérix. »

Au-delà de la phase de découverte, toujours très stimulante, les libraires doivent maintenant commercialiser les nouveautés. Comme chaque année, ils vont s’efforcer d’intéresser leurs clients à la production tout en les aidant à faire leurs choix.

Pour la douzième année, la Fnac a renouvelé sa sélection de rentrée et a décerné, jeudi 29 août, son prix du roman Fnac. Elle a notamment récompensé Julie Bonnie, auteur d’un premier roman décapant : Chambre 2 (voir p. 54). De son côté, Cultura inaugure un partenariat avec Lire pour présenter sa sélection riche de 30 romans dans les 150 000 exemplaires d’un tiré à part.

N’hésitant pas à jouer la carte des nouvelles technologies, Mollat propose sur son site Internet des vidéos d’auteurs, des chroniques et un très gros dossier sur les premiers romans intitulé Les nouvelles voix de la littérature française.

 

 

Code QR.

Parallèlement, la librairie bordelaise a opté pour une scénarisation particulière. A côté des traditionnelles tables, les vitrines accueillent cette année des photos des membres de l’équipe posant chacun avec son livre préféré pour lequel figure un code QR permettant au passant, lorsque la librairie est fermée, d’aller sur le site Internet pour y chercher davantage d’informations ou pour acheter.

 

Mais parmi les nombreuses initiatives mises en place, les libraires jouent surtout la carte des rencontres. A côté de la venue déjà programmée de nombreux auteurs, L’Armitière à Rouen invitera ses clients fin de septembre à un petit-déjeuner pour leur présenter les coups de cœur de l’équipe « en mettant l’accent sur des titres dont on ne parle pas forcément beaucoup ailleurs », précise son dirigeant Matthieu de Montchalin.
C. N.


Les dernières
actualités