Il y a des images qui reviennent. L’ouverture et la fin de Point Oméga de Don DeLillo sont le regard porté par un narrateur anonyme sur une oeuvre vidéo, 24 Hour Psycho , qui existe, créée par Douglas Gordon en 1993, réalisée à partir du Psychose d’Alfred Hitchcock - sorti en 1960. Elle ralentit, étire le film sur vingt-quatre heures. La fin de La carte et le territoire de Michel Houellebecq décrit les dernières oeuvres de Jed Martin, artiste passé par différents médiums et personnage principal du roman, comme des vidéos faites de surimpressions de d’arbres, de plantes, de fleurs, filmés sur un laps de temps compté en jours. J’ignore si une oeuvre de ce type existe, mais cela me fait très fortement penser à une vidéo que Bill Viola a réalisée en 1979, The Reflecting Pool , où tout un jeu s’élabore entre un homme au coeur d’une forêt, un rectangle d’eau, des reflets, des apparitions et disparitions. Dans Un mage en été, il y a des photos prises par Olivier Cadiot, et certaines montrent simplement un coin de verdure, un espace ouvert dans la campagne ou un tunnel de feuilles et d’arbres, où un écho me rappelle que “ c’est un trou de verdure où chante une rivière... ” Bien sûr, pendant ce temps, le sang tourne toujours dans le siphon de la baignoire. Plus loin, des lambeaux de chair ont été installés dans un salon. Si la chair est le “je”, qu’est-ce que l’image ? L’image est dans la chair. On l’a dans le sang. Coetzee et Houellebecq sont morts, on enquête sur eux. Cadiot se souvient et enquête sur lui. Et on plonge effectivement dans ses images comme dans un livre. Il ne s’agit pas de simples métaphores, de simples codes ou projections à décortiquer. Ce qu’ils nous disent - comme Coetzee avec son emboîtement de mises en abîme, de strates narratives (un biographe, cinq témoignages, tous retranscrits différemment, donnant tous un visage différent) à l’architecture musicale - c’est que ces images, ce temps de présentation et de représentation, cette durée de l’image et dans l’image est un espace poétique ; que nous pouvons littéralement y plonger, nous y absorber, que l’on peut s’y immerger ainsi que dans un bain révélateur, s’y mouvoir comme dans un espace de sérénité, de rêverie et de réflexion, et, peut-être, qu’il n’y a pas de clés à trouver - on peut sans doute chercher si l’on veut, mais l’important, c’est d’y être. Etre dans les images et les contempler, les écouter - elles ont leur place à garder, en cette fonction de miroir, ce moment où chacun, regardant, lisant, se trouve, à travers la représentation, cette altérité de végétal, de film celluloïd, de bande magnétique, au sein de ce qui est le plus étranger, seul, face à soi-même. C’est ce curieux mélange que l’on ressent, serrés dans une rame de métro, cette distance et cette lenteur, cette proximité et cet éloignement, la lenteur et la rapidité mêlées. Un peu comme à la fin de Vice caché où le détective, après être passé par nombre de boucles narratives, finit bloqué dans un embouteillage, pris dans le brouillard, parmi d’autres automobilistes, sur une route faite de virages permettant de voir les lumières des voitures rentrant chez elles scintiller, bouger légèrement, comme lorsqu’on fixe des étoiles. _______ Point Oméga , Don DeLillo, Ed. Actes Sud La carte et le territoire , Michel Houellebecq, Ed. Flammarion Un mage en été , Olivier Cadiot, Ed. POL L’été de la vie , J.M. Coetzee, Ed. du Seuil Vice caché , Thomas Pynchon, Ed. du Seuil The Reflecting Pool (vidéo), Bill Viola (PS : l’oeuvre de Douglas Gordon est une installation, il n’y a donc pas de lien hypertexte.)
15.10 2013

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