14 janvier > Premier roman Etats-Unis

A l’origine, Ray Welter a tout pour lui. C’est un chic type, il a gagné beaucoup d’argent dans la publicité avec son associé Bud, il est marié à Helen, qu’il aime. Et puis tout part en vrille. Grand lecteur d’Orwell, ce qui n’incite guère à l’optimisme, il commence à voir tout en noir : sa femme le trompe, ils divorcent, son boulot l’écœure, son amie de cœur, Flora, est partie avec son mari pour l’Amérique latine. Auparavant, avec Bud, ces derniers ont convaincu Ray de faire une pause, de quitter Chicago pour faire le point, se reprendre. Mais ils n’imaginaient pas que leur ami allait s’embarquer illico pour Jura, dans les Hébrides écossaises, une île superbe et sauvage, réputée pour ses single malt d’enfer.

Dès son arrivée, le Yankee ne passe pas inaperçu, et se trouve en butte à la fois aux rigueurs du climat - les hivers, dans ces régions septentrionales, sont plus que rudes - et à l’hostilité des autochtones. Surtout Pitcairn, un violent, quasiment psychopathe, qui tyrannise sa fille Molly, une chouette ado, un tantinet délurée. Seule exception, Farkas, un ivrogne à la pilosité hors normes, qui prétend être un loup-garou.

Comme par hasard, Ray trouve à louer une maison délabrée, complètement isolée, sans chauffage ni électricité, la ferme de Barnhill, celle-là même où Orwell vécut de 1946 à 1949, en autarcie, malade de la tuberculose qui allait l’emporter, se tuant à la tâche pour achever 1984. Les locaux, eux, s’en moquent, et ne le connaissaient qu’en tant qu’Eric Blair, son vrai nom.

Ne se nourrissant que de whisky ou presque, ne se lavant plus, ne dormant guère, relisant obsessionnellement le roman apocalyptique de son prédécesseur, Ray va vivre des mois d’une effroyable dépression. Seul, sans ami. Sauf le très inquiétant Farkas, qui lui raconte des histoires de chasse au loup, un rite païen du solstice d’hiver, et de la jeune Molly, laquelle vient s’installer chez lui un jour sans crier gare, pour échapper aux coups de son père. Ce qui vaudra à son hôte un regain d’animosité de celui-ci, et deux tentatives de meurtre.

On laissera à Andrew Ervin le soin de raconter à son lecteur le dénouement de cette fichue histoire, dans ce premier roman cérébral, complexe, assez sombre en dépit de quelques éclaircies et de son happy end, qui peut passer pour une parabole sur le mal-être du mâle blanc occidental. Le tout conté non sans humour, et à grand renfort de whisky, cet élixir des dieux, doré, tourbé, violent et ensorcelant à la fois. Comme le livre. Mais lui peut se déguster sans modération. Jean-Claude Perrier

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