Revient-on jamais du goulag ? On peut le fuir, s'enfuir, mais en revenir, en revenir vraiment ? C'est sans doute d'abord pour pouvoir enfin répondre positivement à cette question que Yoann Barbereau publie aujourd'hui ce sidérant témoignage qu'est Dans les geôles de Sibérie. Aujourd'hui réfugié du côté de Douarnenez, dans sa Bretagne natale, il dit d'ailleurs que le FSB (successeur du KGB soviétique) lui a rendu service en lui permettant de réaliser son vœu le plus cher depuis longtemps : écrire. C'est-à-dire confectionner un livre qui ne soit pas de circonstances, comme on aurait pu le craindre vu l'ampleur que prit un temps dans la presse son affaire, un livre vite fait mal fait, mais un vrai livre avec de vrais morceaux de littérature dedans.

En hôpital psychiatrique

Résumons ladite affaire. C'est d'abord celle d'un garçon de Nantes (plus précisément de Sainte-Luce-sur-Loire), fils d'un moniteur de tennis et d'une éducatrice à l'aide sociale à l'enfance, qui rêve vaguement de Russie, de sa beauté, de celle supposée de ses femmes, avoue-t-il, de ses espaces infinis. La lecture première de la comtesse de Ségur et de son Général Dourakine, plus tard celle de Tchekhov, ne fera que renforcer cette douce rêverie. Une licence de philosophie plus tard, puis un séjour en Angleterre, et le voici à s'échiner en vain sur une thèse d'esthétique à Paris-I. Il est temps se dit-il de passer à autre chose. Et comme le garçon ne manque ni d'à-propos ni de chance (du moins jusqu'alors...), il lui est proposé de prendre, accompagné de sa femme russe, de sa petite fille et de leur chat Béhémoth (nom emprunté à celui du Maître et Marguerite de Boulgakov) la direction de la Sibérie, d'Irkoutsk et de son Alliance Française.

S'ensuivent trois années presque idylliques. Yoann ne tarde pas à redynamiser l'Alliance et à s'introduire dans les plus hautes sphères de la ville, du maire jusqu'au gouverneur de la région (ce qu'il comprendra plus tard être l'une des causes de sa brutale disgrâce). Un matin de février 2015, en effet, sans que rien ne l'ait laissé prévoir, il est brutalement arrêté et envoyé en hôpital psychiatrique puis dans les riantes prisons de Sibérie sous le chef d'accusation de « diffusion et production d'images pédopornographiques ». La lecture de Chalamov et Soljenitsyne aurait dû le mettre en garde : plus c'est gros, plus ça passe et il y passera exactement deux ans et neuf mois dans les conditions que l'on imagine.

Face à l'inaction des services diplomatiques français et comprenant que sa vie entière risque d'être soumise à ce régime, il parvient à s'évader et, à l'issue d'une fuite rocambolesque, à se réfugier dans un premier temps à l'ambassade de France à Moscou avant d'être extradé le plus discrètement possible vers la France. C'est là, et là seulement, que les médias découvrent et s'emparent de cette histoire d'otage oublié. Son innocence est totale mais il a été condamné par contumace en Russie : objet d'une notice rouge d'Interpol, il est astreint à résidence dans notre pays.

Un écrivain naît là où il veut et peut. Pour Yoann Barbereau, ce fut donc dans ce pays dont on ne revient pas. De cette histoire de fous, il n'est pas revenu. Enfin si, avec un livre qui en appelle d'autres.

Yoann Barbereau
Dans les geôles de Sibérie
Stock
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 20.9 euros
ISBN: 9782234086166

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