Jeunesse

230 millions de petits Chinois

Devant la librairie Xin Hua, Shanghai. - Photo Claude Combet/LH

230 millions de petits Chinois

La 2e Foire du livre de jeunesse de Shanghai, qui s’est déroulée du 20 au 22 novembre, a souligné la croissance de l’édition chinoise pour la jeunesse. Une opportunité pour les éditeurs français d’exporter leur savoir-faire, avec quelques contraintes.

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Par Claude Combet,
Créé le 12.12.2014 à 01h04 ,
Mis à jour le 12.12.2014 à 11h02

La 2e Foire du livre de jeunesse de Shanghai, organisée par la Shanghai Press and Publication Administration (SPPA) et Reed Exhibitions China, a fermé ses portes le 22 novembre sur l’image d’un livre de jeunesse en pleine explosion. Comme partout dans le monde, la jeunesse est le secteur le plus dynamique - + 21 % par an. Elle pèse 17 % du marché du livre selon notre confrère Bookdao. com. Avec 230 millions de jeunes de moins de 16 ans, le potentiel du marché chinois est énorme. Si le niveau de vie est encore peu élevé, la classe moyenne consomme davantage et investit dans l’éducation des enfants, pour lesquels parents et grands-parents dépensent sans compter. Il devrait encore s’étendre puisque le gouvernement chinois autorise les couples à avoir deux enfants depuis novembre 2013.

Dans la Foire du livre de jeunesse de Shangai.- Photo CLAUDE COMBET/LH

"Le marché chinois pour la jeunesse représente 16 % du marché du livre. En Europe, il se situe entre 20 et 25 % du marché global. Nous avons une marge de progression de 5 à 10 %", juge Bai Bing, directeur de Jieli Publishing House, qui a publié Twilight (39 millions de ventes), "Chair de poule" (8,7 millions) et "Premières découvertes" (6 millions), et compte passer de 400 à 600 titres en 2015. Premier éditeur chinois pour la jeunesse, China Children’s Press & Publication Group (CCPPG), qui produit aussi 600 titres chaque année, a vendu 4 millions de Tintin en cinq ans, et cette année 60 000 Histoires inédites du Petit Nicolas. Une opportunité que les éditeurs étrangers ont saisie, en particulier les Anglo-Saxons : Scholastic, Random House, Casterman et Bloomsbury sont les quatre premiers fournisseurs selon Bookdao.com. De son côté, le groupe Média-Participations a ouvert il y a un an un bureau à Shanghai sous le nom de Dargaud China, chargé des cessions de droits, des droits audiovisuels et des licences.

"Le nombre de transactions s’est accéléré depuis trois ans", constate Anne Vignol, chargée des droits d’Hachette Jeunesse, qui avait un stand sur la foire comme Bayard et Dargaud. "La Chine est passée devant la Corée, avec laquelle nous travaillons depuis longtemps", renchérit So Taniuchi, de Bayard, qui ajoute : "C’est un marché qui fait rêver mais la réalité est complexe." Publier en Chine n’est pas chose facile. Si un certain nombre de maisons privées comme Shanghai 99 ont fait leur apparition, elles sont tenues de coéditer avec des entreprises d’Etat. Les éditeurs paient aussi chaque numéro ISBN, aussi réclament-ils des séries pour n’en débourser qu’un. "Une fois vendue la série de dix, vingt ou trente titres, je dois proposer autre chose. Heureusement, on commence à me demander des "one-shots"", remarque So Taniuchi. "Je leur ai suggéré des sorties thématiques, comme deux livres sur l’écologie", renchérit Alain Serres, fondateur des éditions Rue du monde. "On peut créer des séries à partir d’un auteur, d’un format, d’une pagination, d’un thème", confirme Stéphanie Vernet (The Picture Book Agency), qui représente neuf petites maisons indépendantes.

Des sujets impossibles

L’édition chinoise a d’autres contraintes : elle n’aime pas les couvertures blanches trop épurées, et préfère le broché au cartonné. Mais les mentalités changent et "un petit tirage cartonné est envisagé parallèlement au gros tirage broché", note Stéphanie Vernet. Il y a aussi des sujets impossibles à aborder comme les fantômes (qui n’existent pas), la violence, le sexe et la politique. La censure n’a pas disparu et certains livres ont été retirés du stand French Children’s Books Showcase (monté en l’absence du Bief, qui est présent chaque année fin août à la Foire de Pékin). Sans parler de la barrière de la langue, les éditeurs chinois parlant peu l’anglais.

Les albums et les livres pour la petite enfance sont les plus recherchés, tandis que les ouvrages d’activités commencent à percer. "Les éditeurs chinois ne reculent plus devant les graphismes les plus pointus", se félicite Stéphanie Vernet. La très qualitative Shanghai 99, dont le secteur jeunesse n’a que deux ans, achète 90 % de sa production, dont 40 % de titres français : "Les illustrations françaises correspondent au goût des Chinois. On peut publier des albums très sophistiqués parce que le marché a mûri", raconte Gloria Masdeu, qui réimprime un livre d’Anne Crausaz acheté à Memo et va publier Rébecca Dautremer.

Pendant la foire, le petit stand French Children’s Books Showcase n’a pas désempli et la demande pour les livres français a été forte. "La Chine fait preuve d’une curiosité et d’une ouverture d’esprit qui me sidèrent, constate la spécialiste du genre Nathalie Beau, membre du jury du prix Chen Bochui 2014, qui s’est ouvert pour la première fois aux livres du monde entier. Les Chinois acceptent totalement le monde de la fiction, c’est une véritable révolution dans leur esprit. Ils ont intégré à toute vitesse ce qu’est un vrai album : ils en achètent et ils en produisent de superbes."

Les éditeurs chinois sont avides d’informations et de conseils. Pour preuve, les quelque 28 séminaires organisés sur la foire ont fait salle comble. "Ils nous demandent ce qui plaît, ce qui ne va pas… et veulent faire la même chose pour que ce soit exportable", raconte Mylène Boutonnet-Tranier, responsable des droits de Dargaud, qui a publié Le rêve du papillon, une BD signée par un scénariste français et un illustrateur chinois. "Les illustrateurs se forment à Londres ou à Paris et reviennent avec un savoir-faire européen", note l’éditrice Brigitte Stephan, directrice du Baron perché. "L’illustration chinoise ne perd pas son caractère, et ne cherche pas à faire occidentale. Elle s’est joliment adaptée et modernisée", précise Nathalie Beau.

Devant Amazon.

De fait, la Chine continue d’évoluer rapidement. La population est massivement équipée en téléphones mobiles. Internet, bien que censuré, se développe vite : 90 % des jeunes l’utilisent quotidiennement. L’extraordinaire percée de Dangdang.com, devenu en quelques années leader de la librairie en ligne devant Amazon, en est un exemple. Pourtant, les éditeurs français conservent encore leurs droits numériques. "C’est un gros enjeu. On ne les cède pas, parce qu’on ne sait pas encore où ça va aller. Mais les Chinois peuvent être très rapides", souligne Anne Vignol. "Plutôt que les vendre, Bayard recherche des partenaires. Alors on attend", confirme So Taniuchi. Mais si les Chinois écoutent les conseils "transmédia" des Britanniques, le marché pourrait bien échapper aux éditeurs qui ne seraient pas sur les rangs. "Nous n’avons pas vu à la foire de grands éditeurs internationaux. J’aurais aimé en rencontrer davantage", regrette Li Xueqian, de CCPPG. "C’est un échange. Les éditeurs étrangers peuvent nous aider à développer le marché chinois mais ils trouveront aussi chez nous des livres de qualité", ajoute Bai Bing, répondant à la directive du gouvernement : faire connaître la Chine à l’étranger.

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