Histoire/France 6 février Karine Salomé

Dans Les mystères de Paris, Eugène Sue fait plusieurs références au vitriol, ce « poignard liquide », arme des pauvres et des femmes qui veulent se venger. Nous sommes dans les années 1840. Cet acide sulfurique concentré, très corrosif, n'est pas une arme comme les autres. Elle frappe surtout le visage. En vitriolant quelqu'un on désire le défigurer, on attaque son intégrité physique et on laisse des traces. Karine Salomé a enquêté sur cette pratique. Elle a épluché la presse et a recensé 562 vitriolages entre 1817 et 1943. C'est à la fois peu - un peu plus de 4 par an - et beaucoup, à tel point que l'on évoque le phénomène de société dans les années 1870. Les femmes vitriolent leurs maris volages, leurs amants éconduits ou les maîtresses de leurs époux. On parle même d'une « épidémie d'attentats au vitriol ». Les conséquences sont graves. Les victimes ont le visage rongé par l'acide, certaines perdent la vue. Si Paris lance la mode de cette passion sulfurique, la province n'est pas en reste. La violence du geste de défiguration s'exprime dans Le journal d'une femme de chambre d'Octave Mirbeau par la voix du maître d'hôtel. « Moi, je me contenterais de leur asperger la gueule à l'église, avec un bon flacon de vitriol. » Car au fil du temps, l'agresseur change. Le mot « vitrioleuse » apparaît vers 1871, après la disparition des « pétroleuses » de la Commune. Vitrioleur survient près de vingt ans plus tard vers 1888. Le flacon fatal reste l'instrument des différents personnels. La seule différence notable est que nous sommes passés de ce qui était censé révéler la cruauté des femmes à la manifestation du crime d'honneur chez les hommes.

En puisant dans la littérature et dans les prétoires, Karine Salomé nous plonge dans une société où les passions se règlent à coups d'acide. Parmi les nombreuses affaires rapportées, certains verdicts sont jugés trop cléments par des observateurs comme Maupassant. « Pour un an de prison, on peut donc enlever le nez et les oreilles et brûler les yeux d'une rivale dont la beauté vous gêne. » Le travail de Karine Salomé est passionnant parce qu'il explore un fait oublié des annales de la criminalité ordinaire en éclairant la violence sociale d'une époque. Depuis la Seconde Guerre mondiale les agressions à l'acide sont exceptionnelles. Elles ont disparu des tribunaux comme de l'imaginaire.

Karine Salomé
Vitriol : les agressions à l'acide du XIXe siècle à nos jours
Champ Vallon
Tirage: 1 800 ex.
Prix: 21 euros ; 288 p.
ISBN: 9791026708681

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