Avant-critique Récit

Adèle Van Reeth, "Inconsolable" (Gallimard)

Adèle Van Reeth. - Photo Olivier Dion

Adèle Van Reeth, "Inconsolable" (Gallimard)

Suite au décès de son père, la philosophe Adèle Van Reeth réunit la mort et la vie dans un récit qui raconte son chagrin et sa renaissance.

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Par Kerenn Elkaim,
Créé le 12.01.2023 à 09h00 ,
Mis à jour le 12.01.2023 à 12h14

« Ce que nous avons au plus profond de nous, l'exacte musique de notre cœur inconsolable » reste bien souvent caché ou inaudible. Alors Adèle Van Reeth a recomposé sur papier cette mélodie. Une mélodie dépouillée, d'une belle sincérité, puisqu'elle s'empare d'une douleur universelle : la mort d'un parent. « Je sais que les mots ne pourront rien. Je sais qu'ils n'auront aucune action sur mon chagrin. Mais les mots restent, ils dansent, ils percutent », ils ravivent des peines inexprimées ou des êtres aimés. Même si la pudeur est de rigueur, on sent le lien puissant entre Adèle et son père. D'une grande élégance, ce dernier reste digne jusqu'aux derniers instants de la maladie. Difficile d'assister impuissante à la souffrance d'autrui. Brusquement, les rôles s'inversent et l'on devient, malgré soi, le parent de son père ou de sa mère. Aucune école ne nous y prépare, d'autant que la société tend à rejeter la vieillesse, le handicap, la maladie ou l'inéluctable fin. « Je pense à la mort en permanence, et plus j'y pense, plus je la crains », avoue l'autrice. « Nous avons expulsé la mort hors de notre existence. Mais la mort est un savoir que nous refusons d'apprendre », alors même qu'elle nous relie à la vie. « Mon père se meurt. Mon père meurt à moi. Mon père est mort, et je ne suis plus une petite fille. » Grandir d'un coup semble inévitable, d'autant plus qu'Adèle est enceinte. Elle qui est déjà à la tête d'une famille recomposée s'apprête à agrandir cette tribu de garçons. Le décès de son père la jette toutefois dans un gouffre d'émotions extrêmes. « Et moi, je continue, je vis, sa vie n'est pas la mienne, mais je manque de tomber. » Le chagrin est immense, voire impossible à partager. Depuis que son « petit papa » n'est plus sur terre, le monde a changé. Le deuil atteint plusieurs seuils sans prévenir. Il est « une séparation sans retour. C'est le début des plus jamais. Plus jamais tes bras autour de moi. Plus jamais ton visage, ta barbe, ton nez... Qu'est-ce qu'il va rester ? » Les « quatre saisons » de Van Reeth correspondent à quatre temps d'une mort et d'une naissance imminente, quatre temps de sentiments contradictoires, qui la renvoient à la complexité de l'existence et du deuil. Soit une année au cours de laquelle elle va connaître l'amour, la maladie, la mort, la grossesse, l'accouchement, le Covid, la guerre. Un condensé de drames et de joies difficiles à absorber, mais la directrice de France Inter y parvient avec une voix d'une grande sensibilité. « Est-ce que l'écriture est une tentative pour conjurer l'inconsolable ? De quoi avons-nous besoin d'être consolé ? Qu'avons-nous irrémédiablement perdu ? D'où vient le manque ? Inconsolable, ça ne veut pas dire triste à jamais, ça veut dire que le réconfort n'est jamais sur mesure. » Le chemin est lent, mais avec le printemps et l'arrivée de son enfant qu'elle allaite, Adèle reprend goût à la vie et au quotidien, déjà présent dans son livre précédent. « Je vais bien non pas malgré la tristesse, mais avec elle. Je ne veux pas que la tristesse l'emporte. »

Adèle Van Reeth
Inconsolable
Gallimard
Tirage: NC
Prix: 18 € ; 208 p.
ISBN: 9782072960680

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