Avant-critique Roman graphique

Alex W. Inker, "Colorado Train", librement inspiré du roman de Thibault Vermot (Sarbacane) :  Un train d'enfer

INKER Alex - Colorado Train - Photo © Alex W. Inker/Sarbacane

Alex W. Inker, "Colorado Train", librement inspiré du roman de Thibault Vermot (Sarbacane) :  Un train d'enfer

Dans l'Amérique post-Vietnam, des ados maltraités sont confrontés à pire que leurs parents : un éventreur en série. Un album glaçant par un Alex W. Inker au sommet.

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Par Benjamin Roure,
Créé le 10.09.2022 à 10h00

Si, face à la vague d'adaptations littéraires qui inonde les rayons, on peut s'interroger sur un manque de créativité de la bande dessinée, il ne faut surtout pas généraliser. Car quand Alex W. Inker s'empare d'un roman, ce n'est pas pour y plaquer ses dessins chargés d'encre sur une narration linéaire. Il absorbe le texte d'origine, le triture, le découpe, le modifie allègrement, changeant l'époque ou même la fin. Il le fait sien. Il l'a déjà prouvé avec les puissants et somptueux Servir le peuple d'après Yan Lianke et Un travail comme un autre d'après Virginia Reeves. Après une parenthèse avec Fourmies la rouge, regard personnel sur un tragique événement historique (la fusillade de l'armée contre des manifestants ouvriers dans les filatures du Nord), l'auteur revient à la matière romanesque avec le Colorado Train de Thibault Vermot, roman pour grands ados au cœur bien accroché. Dont il n'hésite pas à accentuer le côté obscur.

Voici Donny, Suzy, Michael et Calvin, auxquels le jeune marginal Durham offre quelques heures de liberté dans les zones malfamées le long de la voie ferrée. Car ces gamins sont battus ou délaissés chez eux, agressés dans la rue, oubliés à l'école. Cette Amérique d'après la guerre du Vietnam (le roman était situé à la sortie de la Seconde Guerre mondiale) peine à panser ses plaies et ce sont aussi les petits qui trinquent. Encore plus quand un jeune caïd du quartier est retrouvé les membres découpés et les tripes à l'air. Nos enfants perdus vont remonter la piste du tueur, peut-être davantage par instinct de survie que par sens de la justice.

La prouesse de l'album est de mêler la fresque adolescente- faite de temps morts, d'amourette maladroite, de regards désespérés, de soif d'ailleurs- et le thriller quasi horrifique. Par son rythme étudié, ses cadrages léchés mais qui ne singent pas gratuitement le cinéma, son utilisation du noir total sans une once de gris, son lettrage plein de personnalité, il pose une ambiance âpre et poisseuse. Et fait monter la tension sans qu'on y prenne gare. Jusqu'à une longue séquence finale tout simplement terrifiante. Susciter la peur en BD est un défi quasi impossible, qu'Alex W. Inker relève avec brio. La preuve qu'il fait désormais vraiment partie des grands.

Alex W. Inker
Colorado Train Librement inspiré du roman de Thibault Vermot
Sarbacane
Tirage: 14 000 ex.
Prix: 29 € ; 224 p.
ISBN: 9782377317691

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