Après les combats. Nommons-les zones grises, moins parce qu'on ne les distingue plus que parce qu'elles sont sorties de nos préoccupations. Elles sont l'objet de la toute nouvelle collection « Les routes de l'après » créée chez Actes Sud avec la société After War, elle-même fondée en 2023 par la grande reporter Anne Poiret qui s'est donné pour mission de documenter la suite, quand les armes se sont tues.
L'après-événement n'est plus un événement. Pourtant l'histoire continue. Lorsque les projecteurs de l'actualité se sont éteints, que reste-t-il ? Pour le savoir, Aline Cateux, doctorante en anthropologie, a choisi une guerre, celle de Bosnie-Herzégovine (1992-1995), et un lieu, Mostar, ville restée dans les mémoires pour ses affrontements et pour son vieux pont détruit, symbole du lien entre les communautés.
Dans ces paysages aplatis par la violence, où rien de vertical ne subsiste, l'autrice déambule. D'abord en 1999, quatre ans après les accords de Dayton qui ont mis fin à la guerre. « Mostar ne ressemble en rien à ce que j'ai vu dans le restant du pays. La densité des destructions est inédite et le restera même après que j'ai fait le tour de la majeure partie de la Bosnie-Herzégovine. » Elle y retourne plusieurs fois, parce qu'elle aime ce pays, qu'elle en parle la langue et qu'elle veut documenter cet après pour sa thèse.
Que s'est-il passé ici ? Comment comprendre ce rétrécissement du monde, cette guerre qui a défait les repères physiques, mentaux et émotionnels ? « Tout se voit », dit un Mostarien. La guerre est toujours là, partout, par petits bouts. « On dit avant, après, sans avoir besoin de nommer cette frontière temporelle. » La violence a pulvérisé les destins. Mostar a été victime des armées serbes et croates. La première la défigure en 1992. Un an plus tard, la seconde la transforme en champ de ruines.
Bien sûr, en lisant Aline Cateux, on pense à d'autres territoires, d'autres populations, d'autres misères. Écrit au cordeau, bâti sur un compagnonnage d'un quart de siècle avec ce pays, son récit pose la question de la reconstruction, des édifices mais aussi des vies. Mostar, en vingt ans, est passée d'une ville qu'on tente de réparer à un territoire dans lequel on essaie de survivre. L'autrice pose la question : à qui profitent les ruines ? Pourquoi continue-t-on de réduire des territoires en gravats ? On détruit les modes de vie, les repères, la socialisation pour repartir de zéro. Une autre question fuse : que reconstruire ? On change l'identité de la ville, on organise l'amnésie. Les investisseurs étrangers en profitent. À travers la reconstruction du vieux pont en 2004, on prône la réconciliation. « Mais avec qui ? Je ne savais pas que j'étais fâchée », note une Mostarienne.
Aline Cateux est à l'écoute de ces témoins qui ont du mal à retrouver leur identité dans une ville qui n'en a plus. Avec elle, nous visitons une cité hantée par les fantômes des combats. Elle parvient même à restituer l'esprit des lieux, l'ambiance, l'atmosphère. À Mostar, on appelle ça le šmek.
Mostar : ceci n'est pas une ville
Actes Sud
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 22 € ; 208 p.
ISBN: 9782330215088
