Lire n’est pas toujours chose aisée. Ce disant, je ne reproche pas à Pierre Michon la richesse de son propos sur la littérature dans son dernier livre, Le roi vient quand il veut . Je ne peux pas davantage reprocher à Barbara Constantine de m’avoir adressé, hier, le manuscrit fini de son deuxième livre, ni à une autre primo-romancière de m’envoyer une heure plus tard, le manuscrit attendu après un premier jet très prometteur, sans compter un essai auquel je tiens infiniment et qui m’arrive chapitre après chapitre pour une remise à l’éditeur le 31 décembre. Mais si le lecteur a besoin de temps, l’éditeur se rend compte qu’il ne peut faire attendre trois jeunes femmes qui lui disent au téléphone d’une voix vibrante de bonheur : « Ca y est ! ». Pierre Michon comprendra et nous finirons sa lecture en début de semaine prochaine. Mais, avant de quitter Paris deux jours avec mes manuscrits, ab ordons cette première partie de la lecture de Michon consacrée à son œuvre majeure et son œuvre première les célèbres (pas assez encore à mon goût) Vies minuscules . Le souvenir de ce livre magistral court ici de page en page, car chaque intervieweur tient à percer le mystère de ce livre sans pareil. Il en est plus spécialement question dans les chapitres 7 à 10 de ce recueil d’entretiens. C’est curieusement quand on interroge l’auteur sur sa propre biographie, ce que Pierre Michon n’aime guère, qu’il en dit le plus sur son oeuvre. Au commencement était le grand-père de Pierre Michon qui lui racontait des histoires de campagne et de beuveries. Il y avait aussi sa grand-mère qui avait lu Hugo et des poètes et possédait son brevet supérieur. Dès lors le parcours du jeune homme « est simple, c’est celui des Vies minuscules. L’enfance à la campagne, l’internat au lycée de Guéret, de la sixième à la terminale. Ensuite des études de lettres à Clermont. Je n’envisageais rien. Je savais que c’était la voie qui conduisait au professorat, mais je ne pouvais concevoir un instant d’être professeur. Je me demandais comment j’allais sortir de cette histoire (…) et est arrivé 1968 : un miracle pur me donnant un alibi idéologique en béton pour ne pas entrer dans la vie civile. A ce moment j’ai commencé à ne rien faire, tout simplement. (…) Je vivais de la charité publique. Soyons décent sur ces années-là. » Et pourquoi pas Rimbaud ? Se rêver en Rimbaud « Oui, bien sûr, mais il est vite trop tard pour cette histoire. On a 16 ans quand on y pense, on sait qu’on a jusqu’à 17 ans et demi, 18 ans et c’est déjà fini, on ne l’a pas été, jamais plus on ne sera Rimbaud, alors ça devient tout de suite un regret, une impossibilité de plus. » Michon vit de-ci de-là, rencontre des femmes, boit, s’imagine écrivain, tourne autour d’un « grand roman » dont il se sentait « incapable ». Revient alors la voix de ses grands-parents. « Vies minuscules a été une délivrance phénoménale. Je l’ai écrit vers 35 ans, en 1981 ou 82. J’écrivais alors des textes illisibles, jamais proposés à la publication. J’avais donc réussi à me dire qu’il fallait bien que je m’y mette et, tout à coup, je ne sais pas… Oh ! mais si je sais bien. J’étais dans la Creuse avec ma mère, on se promenait et je suis allé dans la cour et le jardin de l’école où j’avais passé mon enfance (…) Tout à coup je me suis dit : ‘Mais bougre d’âne, pourquoi n’écris-tu pas sur ces petites choses que tu as connues, vécues, sur ces morts ? ‘. » Comme toujours chez les gens de peu il y a le besoin de rembourser. « J’avais autour de ces gens-là, de cette famille élargie, une sorte de réhabilitation à faire puisque pendant très longtemps, je ne travaillais pas. Je vivais de lectures et de bitures. » Et ensuite ? « Ca a été terrible. Avec mon premier livre, j’ai senti très vite que je tenais une chance mais qu’en même temps j’avais tout dit sur ma vie : un peu comme si j’avais bousillé toutes les cartouches de La recherche du temps perdu en deux cents pages. Je me suis dit : c’est fini, je n’ai qu’à me relire. » Il lui faudra quatre ans pour publier son deuxième livre Vie de Joseph Roulin , le facteur de Van Gogh. Aujourd’hui encore il craint ne plus pouvoir atteindre le « miracle » des Vies Minuscules qui lie son existence et son texte, il pense que « ne se reproduira pas » cette « prompte et parfaite transformation de sa situation vécue et de sa transformation en prose qui la transformait elle-même. » Aussi curieux que cela peut paraître chez un écrivain aussi exigeant, Pierre Michon confesse qu’il aimerait être un « auteur populaire ». Même si ce n’est pas le nombre qui lui importe mais l’art ou Dieu, ce qui est au fond la même idée. Je me souviens d’un temps ancien où Libération , qui s’appelait alors vraiment Libé , avait consacré deux pleines pages chaque jour pendant une semaine à interviewer Hubert Selby Jr à l’occasion de la sortie de son roman Le démon , un grand livre de la littérature mondiale. Cette série sur Michon s’efforce de faire la même chose. Lisez Vies minuscules si vous ne l’avez jamais fait ! (à suivre lundi)
15.10 2013

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