Métiers du livre : tout un roman 2/5

Amélie Nothomb dissèque les séances de dédicaces

Olivier Dion

Amélie Nothomb dissèque les séances de dédicaces

Les romanciers de l'automne s’inspirent de leur quotidien pour mettre en scène un écrivain après la publication de son ouvrage, à la rencontre des divers acteurs de la chaîne du livre. A l’occasion de la rentrée littéraire, voici tout au long de la semaine des extraits de ces romans se faisant l'écho de scènes bien connues des professionnels du secteur.

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Par Anne-Laure Walter
Créé le 26.08.2014 à 19h41

Dans Pétronille (Albin Michel), Amélie Nothomb raconte son histoire d'amitié avec une compagne de beuveries au champagne, Pétronille, alias l'auteure Stéphanie Hochet. Elle se met en scène dans sa vie ponctuée de séance de dédicaces en librairie, à travers la capitale.

En effet, comme elle le racontait sur France Inter lundi 25 août, elle a découvert la capitale par ses librairies. Lorsqu'elle vivait encore à Bruxelles, elle ne venait à Paris que lorsqu'Albin Michel lui organisait des dédicaces. “Je ne connaissais pas la tour Eiffel mais juste telle ou telle librairie. Je pensais que Paris était une ville faite de librairies. C'est important les librairies, c'est l'âme d'une ville et Dieu sait si elles sont en danger aujourd'hui,” explique-t-elle au micro d'Augustin Trapenard.

Extraits de Pétronille.

Avis aux séducteurs à l'affût de beautés
“L'exercice de la dédicace repose sur une ambiguïté fondamentale : personne ne sait ce que l'autre veut. [...] Aujourd'hui, la question est un peu moins mystérieuse. Je ne suis pas la seule à avoir observé que les plus jolies filles de Paris font la queue devant moi, et je remarque avec amusement que beaucoup de gens fréquentent mes dédicaces pour draguer ces beautés. Les circonstances sont idéales, car je dédicace à une lenteur accablante, les séducteurs ont donc tout leur temps.
Mais mon récit se situe fin 1997. A cette époque, le phénomène sautait moins aux yeux, ne serait-ce que parce que j'avais alors moins de lecteurs, diminuant ipso facto la probabilité d'y inclure des créatures de rêve.”


La rencontre avec Pétronille à L'Astrée
“C'était dans cette merveilleuse et minuscule librairie du XVIIe arrondissement, L'Astrée, 69, rue de Lévis. Michèle et Alain Lemoine, comme de coutume, recevaient l'écrivain et les lecteurs avec une gentillesse désarmante. Comme il faisait déjà froid en cette soirée de fin octobre, ils servaient à tous un verre de vin chaud. Je me délectais du mien et je remarquai que Pétronille ne dédaignait pas le sien. [...]
Débarqua un photographe professionnel qui commença à me canarder sans me demander mon avis. Afin de ne pas m'irriter, je feignis de ne pas m'apercevoir de son manège et continuai à rencontrer mes lecteurs. Bientôt, le malotrus ne se contenta plus d'être ignoré et fit aux gens le geste signifiant qu'ils devaient s'écarter. La fumée commença à me sortir par les oreilles et j'intervins :
 Monsieur, je suis ici pour mes lecteurs et non pour vous. Donc, vous n'avez pas à donner d'ordres à qui que ce soit.
[...]
Pétronille attrapa l'individu d'une main par la nuque et l'entraîna à l'extérieur avec une fermeté sans réplique.”

Typologie des auteurs en dédicace
Je me rendis donc dans cette sympathique librairie du XXe arrondissement appelée Le Merle moqueur.
J'aime immensément fréquenter les dédicaces des autres. Pour une fois que ce n'est pas moi qui travaille ! Et puis, j'aime observer le mode opératoire de mes collègues. Il y a ceux qui, grossiers, dédicacent sans presque regarder le lecteur, voire sans interrompre leur conversation téléphonique, portable coincé entre l'oreille et l'épaule. Il y a ceux qui expédient le boulot et ceux qui sont encore plus lents que moi  je pense à cet adorable écrivain chinois qui désespère les libraires parce qu'il consacre une demi-heure par lecteur, à réfléchir puis à exécuter en guise de signature la calligraphie que l'interlocuteur lui inspire. Il y a ceux qui exagèrent, qui sont obséquieux, sans oublier ceux qui draguent. C'est un spectacle amusant.”


La librairie préférée de Pétronille
 Montrez-moi donc le Paris que vous aimez, répondis-je.
Cette mission la séduisit. Elle me prit par le bras et m'entraîna en direction des Tuileries, puis du Louvre (elle me montra ce dernier en concédant : ‘Ça, quand même, c'est pas mal’). Nous traversâmes le pont du Carrousel (‘La Seine, comme fleuve, on fait pas mieux’, déclare-t-elle) et longeâmes les quais au pas gymnastique. Nous dépassâmes la place Saint-Michel et arrivâmes devant une librairie digne d'un roman de Dickens, sur laquelle il était écrit ‘Shakespeare and Company’.
 Voilà, dit-elle.
Je n'avais encore jamais entendu parler de cette boutique féerique. Emerveillée, je contemplais autant l'extérieur que l'intérieur : par la vitrine, on voyait des livres aux aspects de grimoire, des amateurs que nul ne tirait de leur lecture, et une jeune libraire blonde, au teint de porcelaine, si jolie et si gracieuse que l'on croyait rêver en la regardant.”

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