Camille Jourdy s’est imposée avec son épatante trilogie Rosalie Blum (Actes Sud BD, 2007-2009), prix RTL BD 2009, Fauve révélation à Angoulême 2010, dont l’adaptation par Julien Rappeneau, avec Noémie Lvovsky et Anémone, sort le 23 mars sur les écrans français. Dans Juliette, sous-titré Les fantômes reviennent au printemps, elle retrouve avec un nouveau portrait de femme ses thèmes de prédilection, aussi subtilement traités : solitude, rencontre entre les êtres perçue comme le croisement de névroses aux racines familiales enfouies, impossibilité de l’amour, frontières incertaines de la folie, dans de petites villes dont la jeune Jurassienne de 36 ans - elle a grandi à Dole et étudié à l’école des beaux-arts d’Epinal avant de rejoindre l’école des arts décoratifs de Strasbourg - a une connaissance intime.
Juliette, qui vit et travaille à Paris, rentre dans sa ville natale passablement dépressive et hypocondriaque. Elle retrouve un père qui se complaît dans ses pertes de mémoire, une grand-mère franchement atteinte par la maladie d’Alzheimer, une mère soi-disant artiste qui collectionne les partenaires, une sœur, Marylou, parfaite mère de famille qui cache néanmoins un amant. Des personnages somme toute familiers, taillés pour une comédie familiale. Camille Jourdy la complexifie en faisant évoluer autour de Juliette un autre solitaire, Polux, des piliers de bar ou encore un caneton baptisé Norbert Magret. Quiproquos et secrets de famille installent un climat ambigu.
Modèle du genre, à la fois cruelle et burlesque, la fête d’anniversaire de Simon, le fils aîné de Marylou, devient ainsi le théâtre de règlements de comptes acides, suscitant autant le malaise que le rire. Avec ses couleurs acidulées, son dessin foisonnant dont les détails surprennent et réjouissent, son découpage au cordeau qui fait alterner séquences muettes et contemplatives et dialogues ciselés, Camille Jourdy a encore perfectionné son style. Elle excelle à associer humour et poésie mélancolique à une profonde acuité de regard, se révélant une très subtile analyste de la société des hommes et de ses névroses. Fabrice Piault
