Entretien

Aurore Bergé : « Remettre la bibliothèque au cœur de la parole publique »

Aurore Bergé - Photo DR

Aurore Bergé : « Remettre la bibliothèque au cœur de la parole publique »

La député LREM, co-rapporteure de la mission flash sur l'application du plan bibliothèque, expose à Livres Hebdo sa vision de la bibliothèque moderne, qu'elle conçoit comme l'une des pièces essentielles de l'articulation entre la politique culturelle et la politique sociale.
 

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Par Nicolas Turcev, Vincy Thomas
Créé le 24.03.2021 à 12h38

Vous proposez d'organiser une prise de relais du financement de l'extension des horaires du plan bibliothèques, dont l'accompagnement dure 5 ans, par les contrats territoire-lecture. Comment organiser la transition de manière à ce qu'il n'y ait pas de disparités territoriales ou d'arrêt brutal de l'accompagnement de l'Etat ?
 
Aurore Bergé : La décentralisation en matière culturelle a ses limites. Elle peut créer de l'inéquité entre les territoires parce que l'action culturelle dépendra du volontarisme des élus locaux, des moyens des collectivités locales, en termes humains, financiers et d'équipements culturels. Le plan bibliothèque a remis de l'équité territoriale en permettant au collectivités de s'emparer à la fois plus et mieux de la manière avec laquelle il fallait repenser les lieux, leur rapport avec les publics, la médiation culturelle et la formation des bibliothécaires. Le bilan est positif au regard du volume de projets qui a été soutenu et de leur diversité territoriale, quand on aurait pu craindre une concentration du plan dans les grandes métropoles.

L'extension des horaires a donc un bilan positif?
 
AB : Sur l'extension des horaires d'ouverture, le financement par l'Etat a permis aux bibliothèques de recruter, puisque 60% des effectifs qui en ont bénéficié ont été titularisés. Mais cette intervention n'est pas habituelle. Au-delà de ces cinq années, est-ce que l'Etat doit impérativement rester, ou bien le choix revient aux collectivités de s'engager sur le maintien de la diversification des publics ? Même si on ne peut pas avoir un arrêt brutal du soutien de l'Etat, et je ne pense pas que ce soit la volonté du ministère de la Culture, l'option la plus naturelle serait de fondre le plan bibliothèque dans les contrats territoire-lecture pour permettre un maintien de l'action, à travers un partenariat entre les Drac et les acteurs locaux.
 
Comment les élus que vous avez interrogés appréhendent cette transition ?
 
AB : Ils sont dans une réelle anticipation. Les collectivités qui ont bénéficié du plan bibliothèque ont vu de nouvelles habitudes se créer. Que ce soit le week-end, avec plus de familles présentes, ou sur la pause méridienne avec beaucoup d'étudiants. L'extension des horaires correspond à une demande très forte de leur population. Donc les collectivités n'ont pas intérêt à arrêter ce dispositif qui a fait ses preuves en matière de fréquentation et de diversité.
 
347 communes considérées comme fragiles économiquement et socialement ne disposent pas de bibliothèques. Comment y remédier ?
 
AB : Quand on regarde le maillage des bibliothèques, exceptionnel dans notre pays, en moyenne un Français se trouve à 20 minute d'un établissement. Par contre quand on rentre dans le détail, on se rend effectivement compte qu'un certain nombre de territoire ne sont pas dotés. Ces zones ont besoin d'une attention particulière en matière d'action culturelle. Sur ce point, la Dotation générale de décentralisation (DGD) permet de financer la construction d'équipements. Son montant augmente et sera à nouveau abondé dans le cadre du plan de relance. En 2017, la somme consacrée aux bibliothèques était de 80 millions d'euros, passée à 88 millions d'euros en 2020. J'ai par ailleurs évoqué le sujet lors d'une réunion entre des parlementaires et le président de la République, qui a semblé sensible sur ce point.

Quand on parle de la reprise post-crise, on ne peut pas l'envisager sans qu'il y ait un volet sur les enjeux d'égalité des chances. Et au regard du risque sur l'explosion de la pauvreté ou des inégalités, qu'on voit bien déjà se développer ou se renforcer du fait de la crise, on ne peut pas évoquer l'égalité des chances sans penser la place de la culture dans ces dispositifs. C'est pour ça que je crois que les dispositifs d'Anru doivent probablement avoir une part réservataire sur la culture. Les montants engagés pour financer un tel rattrapage seraient de plus assez raisonnables.
 
Quel bilan peut-on tirer de la mutation des bibliothèques en maisons culturelles publiques ?
 
AB : C'est un pari clairement réussi, amorcé avant le plan bibliothèque, sous l'impulsion des bibliothécaires eux-mêmes. On constate d'ailleurs cette évolution dans leurs formations, où la médiation culturelle tient un rôle plus important au regard de l'enjeu patrimonial, qui était auparavant prédominant. La plus grande difficulté tient au fait qu'aujourd'hui, dans l'imaginaire collectif, l'image des bibliothèques est très datée et ne correspond plus à ce qu'elles sont. L'image d'Épinal des grands rayonnages de livres ne correspond plus au caractère très modulaire, aéré, ouvert et transparent de ces espaces. Elles sont maintenant les premiers tiers lieux, en capacité non seulement d'être des outils de politique culturelle, mais aussi des outils de politique sociale ou éducative.

A Dunkerque, la nouvelle médiathèque B!B reflète cette approche. Elle est issue d'un vrai choix de politique publique et de la concertation avec les habitants. Elle a permis de repenser le quartier dans lequel est s'est implantée et répond à un enjeu d'urbanisme en synergie avec le tissu social, culturel et éducatif existant. L'exemple de la Cité de la BD à Angoulême, qui développe des actions hors les murs pour aller dans les quartiers, est également intéressant. C'est sur ces bases que je souhaite que l'action des bibliothèques soit menée dans les quartiers prioritaires de la ville. Pour cette raison, il faut accélérer les partenariats avec les Centres communaux d'action social (CCAS), les associations, etc. Une bonification pour les établissements qui développent ce type de coopération pourrait constituer une incitation et un bonus budgétaire.
 
Au-delà de l'accompagnement budgétaire de la DGD, comment accompagner la diversification des tâches au sein des bibliothèques ?
 
AB : L'un des enjeux réside dans la coordination au sein des collectivités, à travers les bibliothèques départementales ou intercommunales. Elles n’ont parfois pas les mêmes logiciels, fichiers, organisations ou banques de données. Est-ce que cela a du sens d’avoir autant de strates entre des acteurs qui se parlent mais qui ne s’imbriquent pas ? Cette question se pose également pour les bases de documents numériques. Pour sa part, l’Etat doit pouvoir accompagner ces changements du côté des bibliothèques universitaires et favoriser les synergies entre les collectivités. Clermont-Ferrand a par exemple instauré une carte unique qui donne l'accès à toutes les bibliothèques de la métropole, qu’elle soient départementales, intercommunales et universitaires.
 
Vous alertez sur les obstacles posés aux associations qui interviennent en faveur de la lecture publique en prison...
 
AB : Les associations que nous avons auditionnées considèrent, à juste titre, qu’elles manquent de moyens et que l’administration n’est pas d’un grand secours. A minima, elles réclament qu’on ne leur mette pas des bâtons dans les roues, or elles expliquent qu’on les entrave dans leurs missions. C'est une question délicate pour les collectivités. Politiquement, on comprend qu'il est compliqué de demander à des municipalités où sont implantés des centres pénitenciers de mettre à disposition pour les détenus le fonds de leurs bibliothèques. Si certaines veulent le faire, tant mieux, mais fondamentalement ce n’est pas leur rôle. Maintenant, il faut que l’administration pénitentiaire assume et accepte cette politique culturelle. Le climat et les rapports humains changent en prison à partir du moment où il y a une action culturelle et un accès aux livres. Ce n’est pas un gadget pour occuper les détenus, ni pour se donner bonne conscience : cet effort de médiation culturelle aide à la réinsertion.
 
Finalement, quel but donnez-vous à cette mission flash ?
 
AB : Remettre la bibliothèque au cœur d’une parole politique et publique. Cela produit des effets sur l’image que les bibliothèques peuvent renvoyer. Ce rapport permet aussi de penser l’après-crise sans oublier l’action culturelle. Le livre, la lecture et les lieux qui permettent de créer cette médiation doivent se trouver au cœur de cette action. En cette fin de quinquennat, cette question doit être un élément clé. Cela ne doit pas forcément prendre la forme d'une loi. Un programme de construction de bibliothèques est un choix budgétaire par exemple, qui pourrait être intégré dans le plan de relance. Si, au bout de ce mandat, le livre s’est retrouvé au centre des enjeux de la politique culturelle, je crois que ce sera une belle victoire. 
 

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