« L’ensemble des acteurs présents dans la vente en ligne de livres et qui n’avaient pas été évalués dans l’avis du 12 février se sont presque entièrement mis en conformité avec le cadre législatif, en particulier les librairies indépendantes, les grandes surfaces spécialisées et les acteurs de la vente en ligne », constate l’avis du médiateur du livre Jean-Philippe Mochon , rendu public mardi 27 mai. A contrario, « le retrait gratuit de livres en casiers automatisés constitue aujourd’hui un réel défi à la mise en œuvre de la loi », poursuit le médiateur, à propos des services mis en place par Amazon. Selon lui, « alors que la possibilité, reconnue par la loi et l’avis du 12 février 2025, pour les vendeurs tout en ligne de mobiliser les points de retrait dans les magasins est déjà un important facteur de flexibilité, le retrait gratuit en casiers automatisés semble (…) de nature à rompre l’équilibre voulu par le législateur. »
Livres Hebdo : Après un premier avis défavorable en février dernier concernant les casiers de retrait Amazon, vous rendez un nouvel avis sur la mise en conformité des acteurs en matière de livraison gratuite de livres en points de retrait. Pourquoi ?
Jean-Philippe Mochon : Effectivement, la loi Darcos entrée en vigueur à l’automne 2023 impose le principe d’un tarif minimum de trois euros pour les commandes inférieures à 35 euros. Or cette dernière prévoit une exception pour le retrait de livres dans des commerces qui vendent des livres. Autrement dit, le click-and-collect en librairie. La nouveauté et la raison pour laquelle j'ai dû me pencher sur le sujet, c'est qu'à partir de novembre 2024, Amazon, au lieu d'appliquer la tarification minimale à tous les achats en ligne, a mis en place une possibilité de retrait gratuit.
En quoi ce dispositif pose-t-il problème ?
Même si la loi est clairement faite pour favoriser la librairie de proximité, mon précédent avis rendu en février dernier a conclu qu’Amazon était bien fondé à appliquer le retrait gratuit en caisses d’un magasin qui vend des livres, souvent un supermarché. Ce qui pose problème, c’est son application de la gratuité à ce que l’on appelle les lockers, ces casiers que l’on trouve en libre service dans les commerces. On n’est plus dans la flexibilité de la loi mais bien au-delà. Tout simplement parce que quand vous retirez un livre dans un casier automatisé, même si le casier est implanté dans la galerie marchande d'un supermarché, ce n'est pas un retrait dans le supermarché, il n’implique aucune interaction avec ce dernier. Je crois que quand on prévoit une exception dans la loi, il faut l'appliquer avec un peu de rigueur et le retrait dans un commerce qui vend des livres, ça ne s'applique pas au retrait dans un locker.
Au cours de votre étude, vous avez échangé avec Amazon. Quelle est leur position ?
Amazon n'est pas convaincu par ma lecture. Selon eux, il faut retenir une approche purement géographique du « retrait dans un commerce ». Mais je ne crois pas que cela tienne. Outre les arguments tirés des travaux parlementaires, cela correspond à un raisonnement simple : si vous retirez un colis dans un casier implanté dans une gare, vous retirez dans le casier, et pas dans la gare ! Le retrait gratuit en lockers reste un défi posé à la loi Darcos.
Pour rendre votre avis, vous avez également échangé avec d’autres acteurs comme E.Leclerc, Carrefour ou encore Coopérative U…
Effectivement, l’idée était de vérifier la mise en conformité de tous les acteurs. Il se trouve que lorsque la loi Darcos est entrée en vigueur, certaines entreprises n'ont pas actualisé la liste des points de retrait gratuit autorisés, tout simplement probablement parce qu’ils n’ont pas nettoyé leurs outils informatiques. Ils ont donc continué à offrir des retraits gratuits dans des endroits qui ne sont pas des commerces qui vendent des livres comme des bijouteries, des centres auto, ou des commerces de proximité qui ne vendent pas de livres.
« Il y a de fortes raisons d’imputer cette nouvelle dynamique à la mise en place de la loi »
Qu’ont donné ces discussions ?
E.Leclerc et Coopérative U, qui étaient les principaux concernés, ont bien travaillé avec moi et se sont engagés à modifier leur offre pour rentrer complétement dans les clous dans les mois qui viennent. Pour faire un point complet, nous avons ajouté une annexe à l’avis qui détaille les sujets chez chacun des acteurs concernés. Pour autant, ce sujet n’est pas massif selon moi car il représente une part minime du chiffre d’affaires. Concernant la question des casiers automatiques par exemple, ce chiffre d'affaires est sans doute beaucoup plus important.
Avez-vous identifié d’autres effets que pourrait avoir la loi Darcos ?
Ce qui est intéressant, c’est de regarder les chiffres. Entre octobre 2023 et fin 2024, on peut observer que la vente en ligne qui était en progression continue, a connu une inflexion sensible. Pour faire simple, il y a un déplacement de trois points de part de marché depuis la vente en ligne vers la vente en librairie. Selon moi, il y a de fortes raisons d’imputer cette nouvelle dynamique à la mise en place de la loi. Avec ces trois euros de frais de livraison, la loi a eu un effet économique et psychologique. Les clients se sont naturellement tournés vers d’autres possibilités en allant en librairie ou bien en augmentant le panier moyen de leurs achats en ligne.
Quelles suites imaginez-vous à votre avis ?
En tant que médiateur du livre, je n’ai pas de pouvoir de mise en demeure ou de sanction. Mon but est surtout de montrer ce qu’il en est et que chacun sache précisément la situation. On pourrait évidemment envisager de réécrire la loi mais un chantier législatif n’est jamais simple et au total, je ne trouve pas qu’il s’impose véritablement. Un juge pourrait également s'emparer de la question mais encore faut-il que quelqu’un le saisisse.