3 septembre > Histoire France

Cette défaite est moins connue que Waterloo et pourtant elle mérite qu’on s’y attarde. Valérie Toureille s’y emploie avec une belle détermination. D’une plume alerte, l’auteur de Crime et châtiment au Moyen Age : Ve-XVe siècle (Seuil, 2013) raconte les cinquante années qui ont changé la France à partir de la bataille d’Azincourt (25 octobre 1415), point culminant de la guerre de Cent Ans entre la France et l’Angleterre. Tout en se méfiant des anachronismes, la médiéviste, maître de conférences à l’université de Cergy-Pontoise, ose avec raison une comparaison. "Azincourt a engendré Jeanne d’Arc, comme l’étrange défaite de 1940 a engendré de Gaulle."

Dans les deux cas, il y eut un avant et un après, d’autant que les Français se croyaient assurés de la victoire. Pourtant, dans la boue de la plaine d’Artois, les quatre heures de bataille effroyable font 6 000 morts. Le royaume de France déjà miné par les luttes intestines perd un quart de son aristocratie et la fine fleur de sa chevalerie. Certains lignages vont même s’éteindre après un tel carnage. Malgré des troupes supérieures en nombre, le roi fou Charles VI perd contre le malin et cruel Henri V qui fait tuer les prisonniers contre toutes les règles en vigueur, ajoutant la sidération au désespoir.

Par la suite, l’avancée des Anglais provoque une sorte d’exode comme en 1940. Mais le traité de Troyes qui transforme la France comme une extension de l’Angleterre fait naître une résistance populaire en Normandie. Les paysans prennent le maquis contre les Godons - surnoms des Anglais venant de l’interjection "God dam !" - et se trouvent dopés après les premières victoires de Jeanne d’Arc.

Valérie Toureille explique fort bien les raisons de ce fiasco et surtout le sursaut d’une nation qui avait manqué de disparaître. Elle démontre également l’influence de cet épisode sur la construction des deux pays et décrit comment son souvenir a été intégré à l’histoire nationale. En France, les conséquences d’Azincourt furent la fin de la domination de la noblesse sur les champs de bataille, la modification de l’ordre social dans le royaume et la recomposition d’un pays qui prend conscience de lui-même, au-delà de ses institutions qui périclitent. Charles VII apparaît même moins falot dans son habileté à réduire les querelles entre les Armagnacs et les Bourguignons.

De cette hécatombe, Shakespeare a tiré un chef-d’œuvre à la gloire d’Henri V, et Malraux une intuition farfelue sur la présence de capitaineries de chats anglais qui auraient détourné les rats vers les cordes graissées des arcs français… Avec énergie, Valérie Toureille explique comment de l’accablement a surgi un élan de résistance. De ce basculement, elle a fait une magnifique leçon d’histoire. L. L.

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