20 août > Roman Etats-Unis

Situé dans les Etats-Unis d’aujourd’hui, le onzième roman de Toni Morrison condense tous les thèmes qui lui sont chers : racisme et enfance abusée, culpabilité et rédemption.

Née dans les années 1990, Lula Ann Bridewell se fait désormais appeler Bride. L’héroïne du onzième roman de Toni Morrison est une spectaculaire jeune femme noire de 23 ans aux cheveux bouclés, entièrement habillée de blanc, qui conduit une Jaguar gris souris intérieur cuir, avec plaque d’immatriculation personnalisée. Mais Bride est aussi la fille unique d’une mulâtre à la peau claire, la mal-nommée Sweetness (Douceur), qui a traité cette enfant dont elle trouvait la peau trop sombre comme une étrangère. "Pire que ça : une ennemie", reconnaît la génitrice dans les confessions qui ouvrent le premier chapitre.

Bride croyait avoir pris sa revanche - elle est la directrice régionale d’une petite entreprise de cosmétiques, sur le point de lancer sa propre ligne, TOI, MA BELLE -, mais tout s’enraye quand Sofia, une ancienne institutrice blanche condamnée à tort à la suite de son faux témoignage, est libérée après quinze ans de prison, et que son compagnon, le secret Booker, la quitte subitement avec pour seule explication : "T’es pas la femme que je veux." Bride se sent redevenir la fillette en mal de mère qu’elle était, "une petite Noire effarouchée". Sa féminité d’adulte s’efface peu à peu, poils pubiens, règles et seins disparaissent, une phase régressive que Toni Morrison traite, selon son habitude, comme un phénomène fantastique inséré dans un réalisme cru. C’est le moment de la fin des mensonges et des remords tus, le moment de l’accomplissement des promesses faites à soi-même, celui qui précède les possibles rédemptions.

Dans Délivrances, si le racisme n’a pas la même forme que celui de la fin du XIXe siècle (comme dans Beloved) ou des années 1950 (Home), il sévit toujours. De même que les abus sur les enfants : le frère aîné de Booker a été assassiné par un pédophile ; Rain, une fillette dont Bride fait la connaissance, a été jetée à la rue par sa mère qui la prostituait.

Depuis Un don (2009), Toni Morrison a raccourci ses histoires, concentrant un peu plus la violence, et la violence physique en particulier, laquelle a toujours tendu ses livres. Chez la romancière afro-américaine, de même que l’asservissement naît de la couleur de la peau, la délivrance passe par le corps. Un enfantement dans la douleur mais aussi porté vers l’espérance.

Véronique Rossignol

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