Intercommunalité

Bibliothèques : agglo or not agglo ?

La médiathèque Persépolis,conçue par l’architecte Jean-Pierre Lottà Saint-Ouen (93), fait partie du réseauPlaine Commune. - Photo olivier dion

Bibliothèques : agglo or not agglo ?

Après avoir suscité de nombreuses interrogations, la gestion de la lecture publique à l’échelle des agglomérations de communes emporte l’adhésion des professionnels. Un acquis qui pourrait cependant être remis en cause avec la création des grandes métropoles urbaines.

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Par Véronique Heurtematte
Créé le 22.11.2013 à 12h47

En bibliothèques, est-il pertinent de mutualiser les moyens en élargissant le territoire ? C’est la question que pose l’intercommunalité à la gestion des services de lecture publique. Actuellement, seule une petite partie des nombreuses agglomérations de communes qui se sont constituées en France ont fait le choix de prendre en charge la gestion des bibliothèques de leur territoire, qui continuent donc majoritairement à relever de la compétence municipale. Le fonctionnement à un échelon supérieur à celui de la commune est cependant déjà une réalité pour nombre de professionnels, et il devrait se généraliser dans un avenir proche. Il suscite en tout cas un intérêt croissant, comme en témoignent les différentes journées d’étude qui lui ont été consacrées dernièrement (1).

 

 

Mutualiser les moyens

A la lumière des différentes expériences exprimées, un constat s’impose : la très grande diversité des situations. Mais malgré les réticences de départ et les efforts requis par sa mise en œuvre, la gestion de la lecture publique au niveau intercommunal emporte l’adhésion des professionnels qui l’ont expérimentée. Tous soulignent le bond qualitatif qui en résulte. Souvent, c’est le sous-équipement en lecture publique et la nécessité de mutualiser les moyens pour améliorer la situation qui poussent les élus à transférer la gestion des bibliothèques à l’échelon intercommunal, comme ce fut le cas à Plaine Commune, entité administrative de neuf villes et de 407 000 habitants en Seine-Saint-Denis. «L’intégration au niveau intercommunal des personnels, du budget et des bâtiments nous a donné des outils de management indispensables pour atteindre la qualité actuelle de notre service», affirme Dominique Deschamps, directrice du réseau des médiathèques de Plaine Commune. Le gain : une offre et des services unifiés et un périmètre intercommunal plus lisible pour les habitants. «Les élus ont beaucoup misé sur la lecture publique pour assurer une égalité de desserte de la population sur tout le territoire», confirme Ginette Pinochet, directrice du réseau des médiathèques de Plaine centrale du Val-de-Marne.

 

En créant de gros services, l’échelle intercommunale donne également du poids à la lecture publique auprès des élus. Avec ses 300 agents, le service des médiathèques de la communauté urbaine de Strasbourg (CUS) est le plus gros service de la direction des affaires culturelles de la CUS. Le réseau Pass’relle offre aux bibliothèques de la CUS et aux bibliothèques de l’agglomération restées municipales un outil mutualisé (carte unique, actions culturelles communes, etc.). «La mise en place du réseau a été mouvementée mais celui-ci a depuis fait la preuve de son utilité auprès des élus, explique Philippe Charrier, directeur du service des médiathèques de Strasbourg et de la communauté urbaine. La seule commune restée en dehors frappe maintenant à la porte pour y entrer.»

Même constat à Clermont Communauté, une agglomération de 21 communes et de 283 200 habitants, qui a structuré son territoire en 7 bassins de lecture progressivement mis à niveau. «Depuis son transfert à l’agglomération en 2005, la lecture publique est restée dans l’agenda politique, avec une augmentation constante de son budget et des créations de poste régulières», se réjouit Dominique Mans, directeur du réseau des médiathèques de Clermont Communauté.

 

 

Une logique de territoire

Gérer la lecture publique au niveau intercommunal ouvre la possibilité de penser un maillage cohérent sur un périmètre qui correspond souvent aux logiques de vie des habitants (travail dans la grande ville de l’agglomération, logement dans un bourg limitrophe, enfants scolarisés dans un autre, etc.). L’agglomération de Saint-Etienne, 45 communes et plus de 400 000 habitants, n’a pas pris dans ses compétences la lecture publique. Résultat, faute de concertation, deux belles bibliothèques de taille et avec une offre documentaire comparables viennent d’ouvrir dans 2 communes voisines l’une de l’autre. «Les communes rurales sont souvent réticentes à entrer dans une intercommunalité constituée autour d’une grande ville car elles ont peur de perdre leur identité, explique Colette Modion, directrice de la médiathèque départementale de la Loire (BDP 42). Pourtant, travailler en réseau est la seule manière pour elles de faire vivre des bibliothèques correctes.» C’est en partie cette crainte qui explique qu’à Rennes Métropole, 38 communes et 405 000 habitants, les élus et les professionnels ont fait le choix dès le départ en 2002 de garder les bibliothèques municipales, le seul équipement communautaire étant la médiathèque des Champs libres à Rennes ouverte en 2006. Une option qui se justifiait aussi par le fait que toutes les villes de l’agglomération possédaient déjà des équipements de lecture publique de qualité. Dix ans plus tard, ce choix présente un certain nombre d’inconvénients. Faute d’un réseau commun, le service de lecture publique n’est pas pour l’instant en mesure de répondre aux trois principales demandes des usagers : une carte de lecteur unique, l’accès à des ressources numériques et aux documents de l’ensemble des bibliothèques présentes sur le territoire de Rennes agglomération. «Les lecteurs sont pragmatiques. Ils fréquentent souvent à la fois les Champs libres et leur bibliothèque locale. Ils ne comprennent pas les freins administratifs», note Marine Bédel, directrice de la bibliothèque des Champs libres et des bibliothèques municipales de Rennes. Le futur portail commun, actuellement en cours d’élaboration, qui offrira notamment des ressources numériques, devrait répondre au moins en partie à la demande.

 

 

 

La lecture publique, soluble dans les grandes métropoles ?

Si les intercommunalités ont permis de donner de la cohérence à leur territoire en matière de lecture publique, la création prochaine des grandes métropoles prévues par le projet de loi actuellement en débat dans les instances nationales, pourrait provoquer l’effet inverse. Exemple avec le projet du Grand Paris : le 1er janvier 2016, la métropole du Grand Paris constituera une vaste entité de 6,5 millions d’habitants regroupant la capitale et les 124 communes des trois départements limitrophes (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne), qui aura la charge de grands dossiers stratégiques tels que le logement et l’aménagement de l’espace. La loi, dans son état actuel, prévoit la dissolution des intercommunalités existantes qui entreront dans son giron, et donc le retour au niveau municipal des services qu’elles géraient. Une perspective inquiétante pour les professionnels, les bibliothèques représentant 47 % des établissements culturels transférés à l’échelon intercommunal dans les départements de la petite couronne parisienne, selon une récente enquête menée par l’organisme culturel Arcadi Ile-de-France et l’institut d’aménagement et d’urbanisme d’Ile-de-France. «La création de la métropole du Grand Paris est indispensable, affirme Dominique Deschamps. Mais nous préférerions ne pas faire partie des dommages collatéraux.» A Plaine centrale du Val-de-Marne, le discours se veut plus serein : «Nous restons vigilants face aux évolutions du projet de loi car les conséquences seraient importantes pour les équipes et pour le public, indique Thierry Blouet, directeur adjoint à la culture de Plaine centrale et de la ville de Créteil. Mais je suis sûr que les élus auront à cœur de trouver une solution qui préserve nos services dont ils connaissent la plus-value pour les usagers. Revenir à une gestion municipale de la lecture publique me paraît inenvisageable.»

 

(1) Voir LH 963 du 30.8.2013, p. 56, et LH 969 du 11.10.2013, p. 55.

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