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Bibliothèques suédoises : l'enfant d'abord

La "saucisse" et le "cocon" de la bibliothèque TioTretton, interdite aux parents et aux enseignants. - Photo © Petra Hellberg

Bibliothèques suédoises : l'enfant d'abord

Le dynamisme du Kulturhuset, impressionnant "Beaubourg" de la culture à Stockholm, doit beaucoup à ses trois bibliothèques spécialisées pour la jeunesse. Reportage.

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Par Claude Combet
Créé le 25.08.2015 à 20h06 ,
Mis à jour le 28.08.2015 à 10h57

Chaque année, 400 000 enfants fréquentent les trois bibliothèques pour la jeunesse du Kulturhuset. Dans un grand bâtiment vitré construit en 1974 et rénové en 1998, en plein centre de Stockholm, ce "Beaubourg" de la culture suédois comprend au total six bibliothèques, trois salles de spectacles, trois restaurants, un cinéma, des salles d’expositions et une boutique de design, et il accueille une compagnie de danse en résidence. Il attire chaque année trois millions de visiteurs. Pour la jeunesse, Rum för Barn (une "chambre pour lire"), au quatrième étage, qui est dédié aux 0-9 ans, fêtera ses 10 ans en octobre. TioTretton, au deuxième étage, vise les 10-13 ans tandis que Lava Bibliotek & Verkstad, au premier, est réservé aux 14-25 ans.

Rum för Barn (une "chambre pour lire"), au quatrième étage, est dédié aux 0-9 ans.- Photo ANDREAS BURMEISTER

Séduire par tous les moyens

Toutes trois déclinent un même concept : mettre la bibliothèque à la portée de l’enfant et le séduire par tous les moyens. Cette philosophie correspond au statut de l’enfant dans la société suédoise, qui lui porte la plus grande attention. Le ton est donné dès le rez-de-chaussée avec un énorme "parking" à poussettes, un lieu d’escalade sur le palier pour patienter, et un feu de signalisation en façade pour informer les usagers de l’accessibilité de l’établissement : vert quand il y a de la place, orange quand il y a de l’attente, rouge quand c’est complet.

"Nous voulons proposer à l’enfant un lieu fait pour lui, où il se sente bien. C’est pour nous la première condition d’accès au livre", explique Helena Gomer, directrice des bibliothèques pour la jeunesse du Kulturhuset. Le mobilier, son agencement et la signalétique sont prévus pour les enfants, qui se déchaussent en arrivant comme à la maison. Pour se mettre à leur portée, une marche a été ajoutée dans la pièce des bébés de Rum för Barn, parce qu’ils aiment escalader, ainsi qu’une petite barrière qui leur sert à se mettre debout. Dans la salle des 3-6 ans, l’îlot central est composé d’escaliers, de niches et de cachettes dans lesquels les petits se réfugient pour lire. Un escalier métallique en colimaçon menant nulle part trône au centre de la pièce juste pour le plaisir qu’ont les petits à monter et à descendre. De son côté, la très spectaculaire TioTretton, interdite aux parents et aux enseignants, propose aux 10-13 ans un immense canapé rouge, dit "la saucisse", où ils peuvent se vautrer et un meuble design composé de niches qui se déploie contre de la baie vitrée : le "cocon".

 

Un studio d’enregistrement et une cuisine

Dans les bibliothèques du Kulturhuset, l’enfant doit être actif, et il est naturel qu’il puisse se livrer à des activités artistiques ou manuelles. Rum för Barn possède son studio où sont organisées des sessions de peinture ou de danse. TioTretton dispose d’un laboratoire et de gradins, où les jeunes peuvent rédiger un blog sur un ordinateur, assister à une conférence, danser, se déguiser, et même organiser une "sleeping party". A leur demande (la bibliothèque les a sondés), on y trouve aussi une cuisine "parce que c’est un lieu convivial, où ils n’hésitent pas à parler, à se confier, sur la nourriture mais aussi sur leurs lectures", constate Helena Gomer. "J’ai un budget "alimentation", s’amuse-t-elle. Chaque année, le directeur du Centre m’interroge et je réponds que c’est pour la cuisine."

Le même principe est adopté au Lava Bibliotek & Verkstad, pour les plus grands. Tout le long du mur, sur un établi, s’accumulent des ustensiles de bricolage et d’activités manuelles : crayons, peintures, sables, outils voisinent avec un saladier débordant de flacons de vernis à ongles pour le "nail art". "Les livres sont partout et les jeunes viennent ici pour étudier. Les étagères sont sur roulettes et on peut libérer l’espace pour un spectacle, un concert, une exposition, un défilé de mode. Notre but est de les attirer : ils doivent entrer pour voir ce qui se passe", commente Helena Gomer. Les 14-25 ans ont aussi à leur disposition un atelier de sérigraphie et un laboratoire "son". Après une initiation gratuite, ils peuvent imprimer leurs tee-shirts en payant la matière première, ou louer le studio pour enregistrer leur morceau de musique. Pendant l’été, un nouveau programme de jobs d’été pour les 16-19 ans, financé par la municipalité, a été lancé : ils ont trois semaines pour mener à bien un projet personnel, avec l’aide d’un coach.

Les bibliothèques du Kulturhuset reçoivent aussi les scolaires, organisent des animations, heures du conte et autres activités classiques des bibliothèques. Mais leur fer de lance reste les ateliers qu’elles proposent et le travail de médiation du personnel. Sur les vingt-sept personnes qui travaillent dans les trois bibliothèques, seuls quatre sont véritablement bibliothécaires. Le personnel est recruté avant tout "en fonction de ses connaissances en anatomie, en géographie, en cuisine, dans les disciplines artistiques - art, musique, danse - ou dans les nouvelles technologies", précise Helena Gomer. Il a pour mission d’instaurer un dialogue avec les usagers, et se montre toujours disponible pour les activités comme pour les conseils de lecture ou pour les confidences dans la fameuse cuisine. Il gère aussi les casiers du TioTretton, où les enfants laissent leurs affaires, avec une unique clé, "car cela permet d’instaurer un dialogue en tête-à-tête", précise la directrice des trois établissements.

Bien sûr, le livre est partout et demeure la référence. "Lire reste l’activité la plus populaire : les enfants lisent sur la "saucisse", dans le "cocon", dans le "laboratoire". Les adolescents se précipitent sur les romans de fantasy comme partout ailleurs, rassure Helena Gomer. Notre but est d’attirer ceux qui n’aiment pas lire et nous trichons en leur proposant d’autres activités. Mais nous leur démontrons que pour être capables de fabriquer, il faut des livres qui expliquent comment faire, comme ceux qu’ils trouvent en rayon au Lava." Son rêve ? Développer un quatrième espace entièrement dédié aux bébés, de zéro à un an et demi. Elle a en tête, avec son équipe, de multiples idées pour les séduire.

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